Un apéro avec Fatoumata Diawara : « Des gens passent des années chez le psy. Moi, je chante »

Autour d’un Coca et en plein jet-lag, l’artiste malienne, qui sort un nouvel album, en partie coproduit par Damon Albarn, raconte ses rêves de python, ses combats pour les droits des filles et contre l’excision, ses cris.

L’époque  – « J’ai un visage bizarre, je le sais. Ce sont peut-être mes yeux », dit-elle en touillant machinalement le Coca qui emplit son verre. On n’aurait pas dit « bizarre », mais plutôt « pas banal ». Entre sa silhouette bien plus grande que la moyenne, ses tresses rouges et les tonnes de colliers qui parsèment sa poitrine, Fatoumata Diawara a quelque chose d’un personnage fantastique.

Ses yeux en amande, la Malienne de 41 ans, qui pratique de multiples arts – elle est à la fois danseuse, comédienne, musicienne et chanteuse –, les a mi-clos ce jour-là, alors que l’heure de l’apéro vient à peine de sonner. Blottie dans une grosse doudoune blanche malgré la douceur printanière, elle lutte contre le sommeil après une nuit sans dormir, passée dans l’avion : elle rentre d’une tournée de trois semaines aux Etats-Unis. « Los Angeles, Phoenix, Portland… On était très attendus », énumère-t-elle, ravie des premières scènes effectuées avec son dernier album, London Ko, sorti le vendredi 12 mai chez Wagram Music (elle donnera d’ailleurs un concert à la Salle Pleyel, à Paris, le 24 mai).

Afin qu’elle reste éveillée, son manageur lui commande soda sur soda. « Ça la fait tenir », souffle-t-il. « Je ne bois jamais d’alcool, pas une goutte, sinon on me perd. L’alcool, ça me casse, je m’endors illico », explique Fatoumata Diawara. Tant pis pour nous, qui fantasmions un petit verre de rosé en plein travail.

Elle a donné rendez-vous au Petit Poucet, place de Clichy, dans le 17e arrondissement de la capitale. Le nom de cette brasserie va bien à cette artiste à l’univers mystique. Et puis, elle connaît comme sa poche ce coin bruyant du nord de Paris, où elle a vécu durant des années avant d’établir son camp de base au bord du lac de Côme, en Italie, avec son mari et ses deux enfants.

Dans le quartier, on l’interpelle souvent. A cause de ses yeux et de son visage « bizarres », donc, croit la chanteuse, qui explique ensuite passer son temps à chanter à tue-tête dans la rue. « Je chante en permanence, je n’ai pas d’autre choix pour survivre », dit-elle d’une voix aussi douce qu’elle peut être puissante et énergique lors de ses balades sur le bitume parisien. On se risque alors à avancer cette hypothèse : c’est peut-être plutôt son timbre qui pousse les passants à l’interpeller.

Elle hausse les épaules. « Les Maliens me hèlent, mais aucun d’entre eux ne connaît mon prénom », rit celle qui se surnomme « Fatou ». Dans son pays d’origine comme partout en Afrique de l’Ouest, elle est connue sous un autre prénom : elle s’appelle à tout jamais Sia. La faute à un personnage de femme légendaire qu’elle a incarné en 2001 dans un film : Sia, le rêve du python.

 

L’émancipation

 

A peine diffusé, le long-métrage est devenu culte au Sahel. Pourtant, la vie artistique de Fatoumata Diawara aurait pu s’arrêter là. Dès son enfance, elle a été initiée à l’art par son père, qui dirigeait une troupe de danseurs, et par sa tante, une actrice qu’elle accompagnait sur les plateaux de tournage. Mais sa famille ne veut pas la voir suivre cette voie : elle veut marier la jeune femme de 19 ans. Sous la contrainte, Fatoumata est obligée d’annoncer publiquement la fin de sa vie professionnelle. Mais, un an plus tard, le directeur de la compagnie Royal de Luxe vient à Bamako lui proposer un rôle : elle voit une bonne occasion de s’échapper. Elle part en tournée et rencontre le succès.

C’est avec cette compagnie que Fatoumata devient peu à peu chanteuse. « Pendant les pauses, lors des répétitions, je m’éloignais et me mettais à chanter pour décompresser, comme je l’avais toujours fait. Mais j’avais oublié que je gardais mon micro accroché à moi, et qu’en régie tout le monde m’entendait. Un jour, le directeur de la troupe m’a demandé de chanter sur scène. A la sortie de la représentation, les spectateurs ne me parlaient que de ces deux petites minutes », se souvient-elle.

Seule, parfois en cachette, cela fait en réalité des années qu’elle chante. Très exactement depuis ses 8 ans et la mort de sa grande sœur, qu’elle chérissait. Ce jour-là, « tout s’est arrêté » dans sa vie. « J’ai cessé de jouer, et depuis je n’ai aucun souvenir de ce qu’est l’enfance. » Fatou chante « au lieu de pleurer » ; elle « crie » tout ce qu’elle ne peut dire, comme lorsque, entre 2007 et 2009, elle incarne sur les planches Karaba la sorcière dans la comédie musicale Kirikou & Karaba, tirée du dessin animé de Michel Ocelot. A chaque fois que l’enfant arrache l’épine qui fait tant souffrir la sorcière, la comédienne hurle. Fatoumata Diawara a refusé qu’une bande-son crie à sa place, comme on le lui a proposé. Alors elle hurle et hurle, jusqu’à en perdre la voix. « Ici, en Europe, il y a des gens qui passent des années chez le psy. Eh bien moi, je chante. »

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Source : L’époque – Le Monde 

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