Biométrie électorale – Le marché florissant du rêve démocratique

Analyse · Expérimentée depuis deux décennies sur le continent, la biométrie n’a pas permis d’améliorer la sincérité des élections. Pourtant, malgré son coût prohibitif, elle continue de faire des émules, pour le plus grand bénéfice des firmes (notamment françaises), qui voient là une belle opportunité de gagner des marchés prometteurs.

 Afrique XXI – Lors des dernières élections au Nigeria, le 25 février 2023, les électeurs qui se sont présentés au bureau de vote ont dû se soumettre à un contrôle biométrique de leur identité. Le système d’accréditation des électeurs, le Bimodal Voter Accreditation System, ou BVAS, utilise à la fois les empreintes digitales et la reconnaissance faciale. La biométrie électorale est censée empêcher les votes multiples. Difficile de dire si elle a eu les effets escomptés. Doit-on interpréter le faible taux de participation (27 %), le plus bas de l’histoire du pays, comme le signe de l’élimination des votes multiples par le BVAS ? Ou comme le résultat d’une désaffection pour des élections ?1

Autre nouveauté pour les élections de 2023 : la mise en ligne immédiate des résultats de chaque bureau de vote sur un portail géré par la commission électorale et nommé IReV (Independent National Electoral Commission Result Viewing Portal). En raison de « problèmes techniques » (selon la commission électorale), les résultats d’une partie des 176 000 bureaux de vote (environ 5 %)2 n’ont pas été transmis électroniquement ni affichés sur la plateforme le jour du vote. Plusieurs opposants ont finalement contesté l’élection de Bola Tinubu, le candidat de l’APC (All Progressives Congress), le parti au pouvoir.

En dépit des ratés et des promesses non tenues, les technologies électorales sont en plein boom en Afrique. Promues au nom de la transparence, les « smart elections » sont vulnérables aux cyberattaques et aux manipulations, et sont régulièrement contestées. Mais parce que la technologie est désormais associée à la démocratie et à la modernité, il est difficile de faire machine arrière. Les échecs des technologies n’incitent pas les États à revenir à des procédures électorales low-tech mais à s’engager au contraire dans une surenchère de technologies.

 

Les élections les plus chères au monde

 

Si elles ne garantissent pas des élections libres et justes, les technologies ont bien un effet tangible : l’augmentation vertigineuse de leur coût. Les élections en Afrique coûtent plus cher par électeur qu’en France, aux États-Unis ou en Inde3. Au Nigeria, le budget de la commission électorale pour les élections de 2023 s’élevait à un peu plus de 600 millions d’euros pour 90 millions d’électeurs inscrits sur les listes (et 200 millions d’habitants). L’acquisition des kits d’accréditation représentait un peu plus d’un tiers du budget total4.

Le coût de la biométrie électorale varie, selon les cas, de 2 à 5 euros par électeur. En Côte d’Ivoire, le recensement biométrique de 2010, qui devait initialement s’élever, pour près de 6 millions d’électeurs, à 101,5 millions d’euros (dont 73,8 millions pour Safran et le reste pour les sous-traitants), a été facturé 246 millions par l’entreprise française à l’État ivoirien en raison de retards dans le processus. L’élection a finalement coûté plus de 40 euros par électeur5.

Le marché de la biométrie électorale se développe depuis les années 2000. Plusieurs conditions sont alors réunies pour assurer son succès : des industriels qui ont besoin de nouveaux débouchés, des bailleurs de fonds prêts à faire le pari de la technologie comme « solution » aux conflits électoraux, et des dirigeants africains qui, entre croyance dans le potentiel de la biométrie, stratégies politiques et parfois intérêts financiers, sont devenus les premiers militants des technologies électorales.

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Marielle Debos

Maîtresse de conférences en science politique à l’université Paris Nanterre

 

 

 

Source : Afrique XXI

 

 

 

 

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