Humza Yousaf, un premier ministre écossais fier de sa double culture

Portrait - A 38 ans, cet homme d’origine pakistanaise est le premier dirigeant musulman d’une nation occidentale. Un parcours qui fait sa force au moment où il doit à la fois redresser l’Écosse et sa formation politique, le parti indépendantiste SNP.

Le Monde – Des successions de taudis au milieu d’imposants immeubles victoriens : Glasgow n’a pas la beauté classique de sa rivale, Edimbourg. Mais c’est une agglomération vivante, à forte tradition ouvrière et contestataire et la plus diverse de la « nation » écossaise. Des vagues successives de migrants y ont élu domicile au sud de la rivière Clyde, dans le quartier de Pollokshields, à la recherche d’un refuge ou d’un travail dans ses nombreuses usines, aujourd’hui presque toutes fermées : Irlandais, Italiens, juifs fuyant l’Allemagne nazie, Pakistanais à partir des années 1950, plus récemment Polonais et Roumains…

C’est là, entre un temple sikh, une mosquée et des échoppes asiatiques, dans ce melting-pot en voie de gentrification qu’a grandi Humza Yousaf, 38 ans, désigné fin mars chef de file du parti indépendantiste Scottish National Party (SNP) et premier ministre écossais, en remplacement de Nicola Sturgeon. D’origine pakistanaise, cet homme à l’œil de velours et à la barbe poivre et sel est aussi le premier dirigeant musulman d’une nation occidentale. Son père est arrivé tout jeune du Pendjab avec ses parents dans les années 1960 pour des raisons économiques. Sa mère, dont la famille possède également des origines du Pendjab, est née au Kenya et a dû fuir à la fin des années 1960, comme des milliers d’autres Asiatiques confrontés à un climat devenu hostile.

« Même dans leurs rêves les plus fous, Muhammad Yousaf [son grand-père paternel], qui travaillait à l’usine de machines à coudre Singer et Rehmat Ali Bhutta [son grand-père maternel], qui tamponnait les billets de bus de la Glasgow Corporation n’auraient jamais imaginé que leur petit-fils deviendrait premier ministre », a déclaré Humza Yousaf, ému, le 27 mars, à l’annonce du résultat du vote des membres du SNP.

Le lendemain, ce politique aux costumes impeccables, adepte des cravates tartan et fan du Celtic Glasgow, club de foot aux fortes racines catholiques irlandaises, a été confirmé First Minister à une confortable majorité par les députés de Holyrood, le Parlement régional écossais. Dans les tribunes, sa famille était au complet, rayonnante : son père, collier de barbe traditionnelle ; sa mère, coiffée d’un discret voile clair ; ses deux sœurs ; son épouse, Nadia El-Nakla, conseillère municipale SNP à Dundee (à 100 kilomètres au nord d’Edimbourg), et leur fille de 3 ans, qui avait un peu de mal à tenir en place. Tous ont ensuite passé la soirée à Bute House, le bel hôtel géorgien devenu résidence officielle des premiers ministres écossais à Edimbourg, où la famille a rompu le jeûne du ramadan.

L’impact du 11-Septembre

M. Yousaf n’est pas du genre à cacher ses origines : il en est fier et revendique volontiers sa double culture « bagpipe [cornemuse] et bhangra [une danse du Pendjab] ». En 2011, dans ce même Parlement, tout juste élu député SNP à seulement 26 ans, il avait déjà fait sensation, prêtant serment en anglais puis en ourdou, vêtu d’un kilt et d’un sherwani, la veste traditionnelle pakistanaise.

Avec Rishi Sunak, un hindou d’origine indienne arrivé au pouvoir à Londres en octobre 2022, les événements politiques britanniques récents font un sacré clin d’œil au passé colonial du Royaume-Uni, ses principaux dirigeants étant tous deux originaires de l’ex-Raj (l’Inde sous domination britannique, avant la partition). La désignation de Humza Yousaf est d’autant plus remarquable que l’Ecosse est plus « blanche » que le reste du pays (à environ 96 %, contre 82 % en Angleterre). Les médias et les leaders religieux ont réagi plutôt sobrement à ce fait historique. « Félicitations à Humza Yousaf, premier Asiatique et musulman dirigeant de l’Ecosse. Mashallah ! [“Dieu soit loué”] », a relevé le Conseil musulman d’Ecosse. Il faut dire que les Ecossais ont d’autres préoccupations : les inégalités se creusent, l’accès aux soins est de plus en plus difficile, le nombre de morts par overdose est le plus élevé d’Europe. Quant au SNP, il traverse une crise profonde.

Dans un pays où la couleur de peau ne compte plus trop à condition d’avoir fréquenté les bonnes écoles, le parcours de M. Yousaf est d’abord celui d’une intégration « modèle ». Ses parents, petite classe moyenne glasgovienne (son père est devenu comptable), l’envoient à la Hutchesons’ Grammar School, un collège privé (environ 14 000 euros l’année) à la réputation d’excellence situé au cœur de Pollokshields.

Lire la suite

 

(Londres, correspondante)

Source : Le Monde 

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Quitter la version mobile