
Orientxxi.info – Son ami Georges Wolinski n’avait pas tort quand il affirmait : « Si tu veux connaître l’Algérie, lis les albums de Slim. » Mais il aurait sans doute été plus pertinent de remplacer « l’Algérie » par « l’absurde ». Non pas que l’absurde soit la marque de fabrique exclusive des adversaires idéologiques de Slim, qu’il s’agisse du pouvoir ou des islamistes. Mais sans être exhaustif, le dessinateur avait plongé son pinceau dans une réalité parfois surréaliste.
Une des caractéristiques de Slim est sans doute sa capacité à mêler comique et tragique. Comme si ses œuvres devaient incarner la locution « mieux vaut en rire ». L’auteur de ces lignes, qui vit l’automne de sa vie sous un ciel parisien avare en pluie, avait en tant qu’étudiant dans les années 1970 ou en tant que journaliste dans les années 1980, suivi avec assiduité les dessins de Slim. Ce dernier a fait en quelque sorte office d’historien à travers son art, en faisant preuve d’une audace rare.
Un choix de solitaire
De son vrai nom Mnaouar Mrabtane, Slim voit le jour le 15 décembre 1945 à Sidi-Ali-Benyoub, près de Sidi-Bel-Abbès. Dans cette ville voisine d’Oran, capitale de l’ouest algérien, le jeune garçon découvre, ébahi, le théâtre des conteurs, appelé aussi « El halqa », qui reprenait des contes folkloriques : « Les villageois marocains qui venaient travailler animaient ces représentations sur les places ou dans les marchés. C’était du théâtre improvisé. » Jeune élève habitué à faire rire ses camarades, Mnaouar découvre à 8 ans les bandes dessinées et les caricatures de journaux : « Je lisais les bandes dessinées dans la salle d’attente du dentiste, où mon oncle m’accompagnait. C’est devenu une passion quand j’ai découvert la magie du dessin, du récit, des couleurs, du jeu et de l’imagination dans les salles de cinéma. »
Cet engouement pour le septième art l’a poussé à passer le concours du Centre national du cinéma à Alger, avant de poursuivre son apprentissage du cinéma d’animation en Pologne et en Tchécoslovaquie en 1966. Mais il ne tarde pas à bifurquer : « J’ai découvert que mon goût pour la solitude était contraire à l’esprit du travail collectif qu’implique une carrière de cinéma. Je me suis retrouvé à dessiner dans mon coin, en puisant dans mes souvenirs d’enfance à Sidi-Bel-Abbès ».
Bouzid, personnage phare d’« Al-Moudjahid »
Quand ses premiers dessins sont publiés dans le journal hebdomadaire Al-Ahdath en 1965, Slim décide d’aller vivre à Alger. Suivant le conseil de son ami et ancien camarade de classe au Centre national du cinéma, le réalisateur Merzak Allouache, il se met à adapter les scènes du film La Bataille d’Alger de Gillo Pontecorvo en dessins comiques : « L’expérience a été concluante. J’étais surpris de voir que les lecteurs appréciaient l’idée. C’est comme ça que j’ai pu démarrer officiellement ma carrière en 1969 ».
Slim commence alors par une rubrique hebdomadaire qui paraissait sous le titre de « Boutartiga », pour donner lieu ensuite au fameux personnage de Bouzid qui l’accompagnera tout au long de sa carrière. Un personnage né grâce à la suggestion de Bachir Rezzoug, directeur de la rédaction d’Al-Moudjahid : « Les lecteurs ne savaient pas que Bouzid, ce personnage à la moustache épaisse, était en fait Slim qui est parti de Sidi-Bel-Abbès pour s’installer à Alger. » Rapidement, les aventures de « Zid ya Bouzid ! » (Encore Bouzid !) deviennent un véritable phénomène de presse et de société.
Désormais, les lecteurs du journal commencent par lire les cases de la dernière page avant de parcourir les titres en une. En quelques coups de crayon, le dessinateur met en scène les problèmes de Bouzid le Kabyle, qui se déplace toujours à l’aide de son bâton avec sa femme Zina, et se confie à son chat qui le suit comme son ombre. L’alter ego du dessinateur est devenu le représentant des classes sociales qui souffrent du chômage, du manque de logement ou de la rareté des denrées alimentaires. Et plus tard de l’extrémisme religieux. Durant les années 1970, deux numéros du quotidien étatique sont envoyés tous les jours à bord d’un bus qui part d’Alger vers Tizi-Ouzou et les Aurès :
Plusieurs sources m’ont confirmé qu’un des deux numéros atterrissait sur le bureau du maire de Tizi-Ouzou. Quant au deuxième, il faisait le tour des cafés. Les gens lisaient ma bande dessinée, analysaient ce que je disais explicitement, mais aussi ce que je signifiais implicitement. Ces dessins étaient publiés dans un journal truffé de langue de bois, je n’étais pas tout à fait libre de dire ce que je voulais. Par exemple, je devais passer par des métaphores pour parler de la bourgeoisie qui était au pouvoir, et qui représentait le capitalisme rentier d’un État qui se disait socialiste. Ma critique n’était donc pas du tout exclusive aux islamistes, bien que mes divergences avec ces derniers soient antérieures à ce qu’on a appelé « la décennie noire » (1992 – 2002).
Journaliste.
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