Mayotte, chronique d’une colonisation consentie

 Afrique XXI – Histoire · Dans les années 1960, alors que l’archipel des Comores se dirige vers l’indépendance, l’élite politico-économique de Mayotte met en œuvre un puissant lobbying pour se séparer des autres îles et obtenir la départementalisation. Aidée par les nostalgiques de l’Empire français et par le contexte géopolitique, elle finira par l’emporter au prix de nombreuses violences.

Symboliquement, la séparation de Mayotte avec les trois autres îles de l’archipel des Comores (Anjouan, la Grande Comore et Mohéli) débute le 2 novembre 1958. Depuis quelques mois, Georges Nahouda, membre d’une famille créole (mère originaire de l’île Sainte-Marie, au large de Madagascar, père européen) et personnalité parmi les plus influentes de l’île, entreprend de convaincre les notables mahorais de l’intérêt à revendiquer la départementalisation au sein de la République française.

Après avoir été dirigé par le régime de Vichy durant la Seconde Guerre mondiale, puis libéré par les Britanniques, l’archipel des Comores, conquis au XIXe siècle en plusieurs étapes par la France et un temps rattaché à la colonie de Madagascar (de 1912 à 1946), est régi depuis 1946 par le statut de territoire d’outre-mer (TOM), et semble devoir se diriger vers l’indépendance comme la plupart des autres possessions de l’Empire français. Ce 2 novembre 1958, des dizaines d’hommes (chefs de village, dignitaires religieux) se réunissent dans le village de Tsoundzou pour participer à ce que l’on nommera plus tard le « Congrès des notables », et décident de défendre la départementalisation de Mayotte. Ce qui est l’aboutissement du lobbying de Georges Nahouda marque le début d’un mouvement qui bouleversera le destin de l’archipel.

Il y eut tout de même un prologue à cette histoire. Le 14 mai 1958, l’Assemblée territoriale des Comores vote le transfert de la capitale de Dzaoudzi, sur l’île de Mayotte, vers Moroni, sur l’île de la Grande Comore. Les 26 élus d’Anjouan, de Mohéli et de la Grande Comore votent pour. Les 4 représentants mahorais s’y opposent. Cité comme l’une des causes majeures du séparatisme mahorais, ce transfert est décrit à Mayotte comme un acte brutal d’humiliation et de domination de la part des Wangazidja (les habitants de la Grande Comore, dont le nom comorien est Ngazidja). Selon les partisans du séparatisme, la responsabilité en incombe à Saïd Mohamed Cheikh, alors député des Comores et principal dirigeant politique du TOM. En réalité, l’administration française a évidemment eu son mot à dire.

« Moroni n’est pas devenue la capitale des Comores par la volonté d’un individu, ni même de ses habitants, ni par une démarche volontaire effectuée par les Wangazidja ou un pouvoir politique », affirme l’historien Damir Ben Ali1. En 1958, le territoire jouit d’une relative autonomie administrative et financière depuis les lois Defferre de 1956 et 1957. La centralisation des bureaux administratifs à Dzaoudzi pose problème, alors que les décisions politiques se font à Moroni. « Avant de rejoindre leur domicile et leur bureau à Moroni, les ministres doivent donner une délégation de signature aux chefs de service [qui siègent à Dzaoudzi], tous Européens, afin d’assurer l’exécution des décisions. L’administrateur supérieur et ses collaborateurs continuent donc à détenir la réalité du pouvoir et à gérer les affaires du territoire à leur guise », indique Damir Ben Ali. Une situation inacceptable pour les élus locaux, qui revendiquent plus d’autonomie dans un contexte mondial dominé par les mouvements de décolonisation.

D’autres raisons peuvent expliquer la volonté de Saïd Mohamed Cheikh de transférer la capitale – certains avancent son chauvinisme, d’autres un calcul politique2 –, mais il est clair qu’il n’aurait pas pu obtenir ce transfert sans l’aval de l’administration. Zoubert Adinani, l’un des quatre représentants de Mayotte à l’Assemblée territoriale de 1967 jusqu’à l’indépendance, en 1975, figure emblématique du combat pour « Mayotte française », reconnaissait lui-même en 2006 que « sans l’aval du gouvernement français, ce transfert n’aurait jamais eu lieu »3.

 

Les intérêts de l’élite créole

 

Les conséquences sociales d’une telle décision seront très lourdes, mais elles n’interviendront que progressivement. Les conséquences politiques, elles, sont très rapidement perceptibles. Dans l’esprit de Cheikh, ce transfert doit préparer l’indépendance, mais celle-ci peut encore attendre. Lorsque, quelques mois plus tard, les Comoriens sont appelés – comme l’ensemble des habitants des colonies françaises – à se prononcer sur leur avenir au sein ou hors de la République française, dans le cadre du référendum du 28 septembre 1958, ils votent à une très large majorité (97,32 % des suffrages) pour rester au sein de la Communauté. Les élus territoriaux optent dans la foulée pour le statu quo, c’est-à-dire le statut de TOM4. Georges Nahouda et les dirigeants mahorais ne l’acceptent pas.

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Rémi Carayol

Journaliste. Il a fondé deux journaux dans l’archipel des Comores (Kashkazi, Upanga)

Source : Afrique XXI

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