De la Mauritanie aux États-Unis, la périlleuse traversée de l’Amérique

Afrique XXI – Témoignages · De plus en plus de Mauritaniens préfèrent rejoindre les États-Unis plutôt que l’Europe. Depuis Madrid, en Espagne, beaucoup tentent de gagner Tijuana, au Mexique, en passant par l’Amérique du Sud. Une route migratoire peu connue et très risquée.

En janvier 2023, les réseaux sociaux et les médias mauritaniens relataient le kidnapping de trois Mauritaniens par un gang au Mexique. Pour leur libération, les ravisseurs demandaient 8 000 dollars (environ 7 378 euros) par personne. Familles, célébrités et membres de la société civile se sont alors mobilisés pour réunir l’argent de la rançon et ainsi obtenir leur libération quelques jours plus tard. Ce fait-divers qui s’est déroulé à près de 9 000 kilomètres de Nouakchott, la capitale de la République islamique de Mauritanie, a mis en lumière une tendance relativement méconnue du grand public : aux routes traditionnelles passant par l’Espagne pour rejoindre l’Europe se sont progressivement ajoutées celles passant par l’Amérique du Sud pour franchir la frontière des États-Unis.

En Mauritanie (4,6 millions d’habitants), le revenu mensuel moyen par habitant est estimé à 138 dollars, et le taux de chômage atteint 37 %, selon les chiffres du gouvernement (11 % selon les données de la Banque mondiale). Dans ce contexte, de nombreux Mauritaniens sans perspectives sont candidats à l’immigration.

La Mauritanie a une histoire ancienne d’émigration vers l’Europe, destination qui a longtemps fait rêver. Mais les récentes success stories de compatriotes vivant aux États-Unis, mises en avant sur les réseaux sociaux, ont fait du pays de l’oncle Sam un nouvel eldorado dans l’imaginaire collectif. Un phénomène qui concerne essentiellement les hommes – très majoritaires –, mais aussi les femmes, qui n’hésitent pas, parfois, à prendre la route avec des enfants. Brésil, Équateur, Colombie, Panama, Costa Rica, Nicaragua ou encore Salvador sont désormais des noms qui résonnent dans les conversations lorsqu’on prend des nouvelles des émigrés et qu’on s’échange les « bons plans » pour préparer son voyage.

Les vidéos postées sur TikTok montrent des Mauritaniens lors des différentes étapes du périple, entre voyages en bus et longues marches en forêt. D’autres se filment en train d’escalader le mur entre le Mexique et les États-Unis. Ce voyage est extrêmement coûteux, périlleux et épuisant, comme le racontent des témoins qui ont accepté de livrer tout ou partie de leur expérience à Afrique XXI.

 

La barrière des visas

 

Mahmoud (son prénom a été changé) a une trentaine d’années. Il est parti en 2021. « En Mauritanie, il n’y a pas de travail, confie-t-il. Ceux qui s’en sortent ont un parent bien placé. Personne n’a de travail sans piston. » Pour lui, il est « très dur » de vivre dans son pays, même avec 10 000 ouguiyas (l’équivalent de 270 euros), une fois « les frais de la maison et de nourriture » payés. L’inflation, qui devrait se stabiliser à 11 % en 2023, selon le Fonds monétaire international (FMI), a touché les produits de première nécessité et renforcé ce sentiment de précarité et les écarts entre les différentes composantes de la société mauritanienne.

D’autres demandeurs d’asile mauritaniens aux États-Unis évoquent également le racisme envers les Noirs et les inégalités de traitement entre les communautés. Le pays est souvent épinglé par les associations de défense des droits de l’homme pour sa pratique de l’esclavage et l’exclusion raciale. Ce phénomène d’immigration vers l’Amérique touche néanmoins tous les groupes ethnolinguistiques. « Dans notre groupe, il y avait des Maures blancs, des Haratines, des Peuls… Il y avait de tout », confie Samba (prénom d’emprunt), aujourd’hui installé dans l’Ohio, dans le nord-est des États-Unis.

Dans un premier temps, beaucoup de candidats à l’exil tentent d’obtenir un visa en règle pour les États-Unis, mais aussi pour des pays européens (France et Allemagne principalement). Face aux refus répétés, ils se tournent vers la voie clandestine. « L’idée d’émigrer m’est venue en 2015, raconte Mahmoud. J’ai fait six demandes pour les États-Unis. Toutes ont été rejetées, sans raison invoquée. » Ce trentenaire affirme avoir payé 180 dollars à chaque fois – une petite fortune.

En passant par l’Amérique du Sud et l’Amérique centrale, les migrants mauritaniens parcourent près de 20 000 kilomètres.
© Google Maps / Afrique XXI

 

Pour rejoindre les États-Unis sans visa, il n’y a qu’une seule route : se rendre dans un pays d’Amérique du Sud où la demande de visa se fait à l’arrivée, puis remonter au nord jusqu’à la frontière mexicaine. Depuis Nouakchott, il n’existe aucune liaison directe vers l’Amérique du Sud. Madrid, hub aérien entre l’Amérique « latine » et l’Europe, est une étape indispensable. Un simple visa de transit permet de rejoindre le continent américain1.

 

Le business des passeurs et de la police aux frontières

 

« J’ai pris un vol Nouackchott-Madrid avec une escale à Tunis, explique Mahmoud, puis de Madrid, je suis parti en Équateur. » À Quito, la demande de visa est gratuite et se fait sur place, mais, comme le précise Mahmoud, les refoulements sont nombreux : « Nous étions onze Mauritaniens, et seuls cinq d’entre nous ont été acceptés. Les autres, dont certains étaient mineurs, ont été mis en prison trois ou quatre jours dans l’aéroport. Ils ont ensuite été renvoyés à Madrid, puis de Madrid à Tunis. » Le Nicaragua et le Brésil sont d’autres pays qui offrent les mêmes conditions d’entrée.

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Yéro Sow

Franco-mauritanien, Yéro Sow est enseignant en gestion et économie à Paris

Source : Afrique XXI

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