Les Amazones d’Afrique, une même voix pour dénoncer l’excision et toutes les violences faites aux femmes

Infatigable, le collectif de divas d’Afrique de l’Ouest sillonne la France tout en préparant leur prochain album.

Le Monde  Sur scène, la première impression qui émane des Amazones d’Afrique est leur incroyable liberté. Fafa Ruffino, solaire dans sa robe jaune d’or, arbore un collier de perles masaï et une coiffure tressée peule.

Kandy Guira, coupe à la garçonne et à l’allure un peu dégingandée, arpente la scène avec son mètre quatre-vingts, en bottes noires et tailleur short zébré taillé dans un tissu burkinabé. Au centre, la somptueuse Mamani Keïta, la « maman » du groupe de chanteuses, se tient droite dans une robe colorée à volants. Sa voix exceptionnelle s’élève, charriant une flopée d’émotions. Le public du Théâtre des Louvrais, venu en nombre le 10 mars à Pontoise (Val-d’Oise), se met à danser.

Elles chantent et se répondent en yoruba, en bambara, en moré… Chaque voix porte une histoire. Chaque timbre est unique. Elles déploient déjà depuis un bon moment leur énergie quand un gémissement s’élance, poussé par Fafa Ruffino. Il faudra attendre la fin de la chanson pour que la chanteuse béninoise explique : « Il s’agit du cri de douleur poussé durant une excision. » La douceur de la mélopée et des sonorités yoruba tentent d’apaiser la dure réalité des paroles :

 

« J’ai mal, très mal (…)

Je ne vais pas me taire face à tout ceci

Regardez comme cette petite fille souffre

Elle a mal dans son corps

Arrêtez tout ceci, trop c’est trop »

 

La salle applaudit. Les Amazones d’Afrique, élégantes et généreuses, invitent femmes et hommes à monter sur scène pour danser. La musique, subtil mélange de blues, de sonorités funk, électro et mandingues envahit l’espace et les corps. La joie emporte dans un tourbillon les souffrances et les émotions contenues.

 

« Mamans impuissantes »

 

« “Fight”, cette chanson, personne n’en voulait », raconte Fafa Ruffino, 45 ans, qui aime descendre de scène à l’issue des concerts rencontrer le public. Elle se plie au jeu des photos tout en martelant ses messages dans un grand sourire : « Je dénonce les exciseuses, je les engueule, je leur dis dans la chanson : “Vous croyez que cela vous valorise ?” » Elle continue doucement : « En général, ce sont les tantes, les grands-mères, qui sont complices et qui organisent l’excision, à l’insu des mamans, impuissantes. »

Comment chanter l’indicible ? Comment sensibiliser aux violences faites aux femmes et adresser des messages sans pour autant verser dans l’agressivité, la complainte ou la victimisation ? C’est le pari relevé par les Amazones depuis leurs débuts. Leurs voix célèbrent avant tout l’amour et la nécessaire solidarité entre femmes, la sororité. Elles les exhortent à briser le silence, à dénoncer les violences, les mariages forcés, les harcèlements, les viols, à devenir actrices de leur propre vie.

 

L’aventure naît en 2014 à Bamako. La productrice Valérie Malot peine à enregistrer le nouvel album des Ambassadeurs, « un groupe de messieurs » autour de Salif Keïta. Les heures s’égrènent et elle finit par passer beaucoup de temps avec la diva malienne Oumou Sangaré. « Oumou avait une force héritée de sa mère qui avait osé dire non à une deuxième épouse et était venue avec ses six enfants vendre des beignets à Bamako », raconte Valérie Malot. Les discussions tournent autour de la condition des femmes et l’idée d’un collectif de musiciennes et de chanteuses germe.

Les grandes voix maliennes Oumou Sangaré, Mariam Doumbia et Mamani Keïta, mais aussi la Béninoise Angélique Kidjo sont galvanisées par le défi. L’aventure est lancée : les Amazones d’Afrique mettront leur voix au service d’une cause, celle de la lutte contre toutes les violences faites aux femmes. Leur nom est un clin d’œil aux Amazones du Dahomey, régiment militaire né au XVIIe siècle dans ce qui est aujourd’hui le Bénin.

 

« Traitée comme une esclave »

 

Neuf années après le début du projet, Mamani Keïta, 56 ans, celle que toutes les autres appellent « maman », est toujours là. Rencontrée dans son petit appartement d’un quartier populaire de la capitale malienne, toute de noir vêtue mais traversée de grands éclats de rire, elle se souvient : « Quand l’idée est née, je n’ai pas hésité. En Afrique, la jeune fille grandit avec l’idée qu’elle est programmée pour tenir son foyer, faire le ménage et des enfants. La femme est trop souvent traitée comme une esclave. » Elle évoque sa trajectoire de femme libre, depuis Bamako à Paris, où elle a suivi en tant que choriste, à l’âge de 20 ans, le musicien Salif Keïta.

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Source : Le Monde

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