France – Le ramadan, une pratique aussi culturelle que cultuelle

Le mois saint pour les musulmans, qui commence le 23 mars, relève autant de l’impératif religieux que d’un mode de socialisation apprécié des observants.

Le Monde  – Elle presse le pas pour atteindre la porte réservée aux femmes. Vêtue d’un grand voile rose poudré qui la couvre de la tête aux pieds, Rania [elle n’a pas souhaité donner son nom de famille, comme toutes les personnes désignées uniquement par leur prénom], 20 ans, remonte la rue Daubenton (5e arrondissement de Paris) afin d’assister à la dernière prière du vendredi avant le début du ramadan, quelques jours plus tard.

Cette année, le mois saint des musulmans commence le 23 mars et, comme tous les ans, l’étudiante d’Assas va le respecter scrupuleusement. Ne pas boire ni manger, de l’aube jusqu’au coucher du soleil. Mais aussi respecter un certain code de conduite morale, être plus humble et plus respectueux envers les autres, ne jamais se mettre en colère ou insulter.

 

Voilà quelques-unes des recommandations à appliquer lors de ces trente jours qui revêtent une importance si particulière pour les musulmans du monde en général, et de France en particulier. « C’est un mois que ma famille et moi attendons avec impatience », sourit l’étudiante. Elle qui ne se voile que lorsqu’elle va à la mosquée pour prier assure qu’il s’agit là d’une des pratiques les plus importantes pour elle. « C’est une rare occasion de passer plusieurs jours à se concentrer sur soi, à réfléchir à son rapport à Dieu, mais aussi aux autres. »

Si elle fait la prière quand elle peut, Rania n’a pas forcément l’occasion de consacrer autant de temps à sa spiritualité le reste de l’année. Les sociologues l’assurent, ils sont nombreux en France qui, comme la jeune femme, entretiennent au sein de la communauté musulmane un rapport particulier au neuvième mois de l’année lunaire. « Si on pose un regard un peu anthropologique, explique ainsi Marie-Claire Willems, sociologue au laboratoire Sophiapol à l’université de Nanterre et autrice de Musulman, une assignation ? (Editions du Détour, 200 pages, 18 euros), c’est l’une des pratiques les plus partagées dans l’islam. »

Les chiffres sont certes compliqués à obtenir mais les entretiens individuels et les sondages menés par les chercheurs disent la dynamique, voire parfois la hausse de l’observance du ramadan. Et ce, même par ceux qui ne s’identifient pas comme musulmans pratiquants, ou qui ne se sentent pas forcément un lien particulier à la religion, voire qui estiment ne pas en avoir. C’est que le ramadan est, poursuit la sociologue, autant attaché à la spiritualité et au culte qu’à une « identité ethnico-religieuse, le rattachement à une communauté ».

Moment de convivialité

C’est le cas d’Abdel. De son propre aveu, ce médecin hospitalier de 34 ans, en poste en proche banlieue parisienne, « ne croit pas en Dieu ». Il explique avoir grandi au sein d’une famille croyante d’origine maghrébine croyante, sans qu’aucune pression n’ait été mise sur les enfants dans un sens ou dans l’autre. De la religion, et de dieu en particulier, il s’est détaché sans animosité autour de l’adolescence. Pour lui, pourtant, le ramadan demeure une période « particulièrement importante ». « Quand on est petit, on voit les parents le faire et on les suit. J’ai commencé à faire le ramadan quand j’étais en 5e ou en 4e et j’ai continué à le faire jusqu’à ce jour… »

C’est ainsi que ce mois est passé, pour lui, de « tradition sainte » à « tradition familiale ». Dans sa famille, chacun, ayant mille choses à faire, « dînait dans son coin, sauf pendant le ramadan où tous se réunissaient autour de la table ». Un moment de convivialité qui permet à ce fils de parents qui ont fini par divorcer de réenchanter le quotidien de sa mère, en vivant vingt-neuf ou trente jours de soirées festives telles que les décrivent les musulmans. « Il nous arrivait souvent d’inviter des copains, de toutes les confessions d’ailleurs, pour leur proposer de rompre le jeûne avec nous, et de déguster les plats traditionnels », relate Abdel.

 

Même s’il a adapté sa pratique avec le temps, jugeant parfois le jeûne fatigant lors de ses longues études, et aujourd’hui dans un métier très prenant, le médecin prend encore plaisir dans de petits moments qui lui évoquent son enfance : « Pour moi, c’est l’heure de la rupture [du jeûne], sourit-il. Quand j’étais petit, il n’y avait pas d’applis qui la donnaient, alors je suis resté sur un ancien mode : je mets Radio Beur [Beur FM], et j’attends l’appel de la prière. Je ne parle pas arabe mais je sais alors que c’est le moment de manger ! » Des instants qu’il compare à Noël, fêté par une population française solidement sécularisée.

« Des odeurs, des soirées, des repas »

Pour Omero Marongiu-Perria, docteur en sociologie et spécialiste de l’islam de France, « les deux aspects, cultuel et culturel, se confondent dans le sens où le ramadan est vécu avant tout par le prisme culturel ». C’est, poursuit-il, « au-delà de ne pas manger et de ne pas boire », un moment où les populations concernées « organisent leur temps, ont des modes de sociabilité différés, décalés avec le soir, avec une alimentation différente ».

« L’histoire de la foi n’est pas essentielle pour pratiquer, ce sont des odeurs, des soirées, des repas, des souvenirs d’enfance. Avec des mets particuliers, des souvenirs de réunions familiales », abonde Marie-Claire Willems.

Outre les repas, ces réunions familiales se font aussi parfois la veille ou l’avant-veille du début du ramadan, lors de la nuit du doute, moment de détermination du début du ramadan par les imams. Si la science est capable de prédire des années à l’avance le premier jour du mois saint des musulmans, certains semblent attachés à cette tradition qui nécessite d’observer le premier croissant d’une lune naissante pour savoir quel jour commencer à jeûner.

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Sarah Belouezzane

Source : Le Monde 

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