En Arabie saoudite, la nouvelle diplomatie opportuniste de Mohammed Ben Salman

Sous l’impulsion du prince héritier, le royaume assume un virage vers l’Asie, au détriment de son allié américain.

Le Monde – Dans l’histoire de la diplomatie saoudienne, le mois de mars 2023 fera probablement date. Les annonces auxquelles les responsables du royaume se livrent depuis une dizaine de jours augurent d’une importante inflexion dans la conduite de la politique étrangère du pays.

Il ne s’agit pas seulement du prochain rétablissement des relations diplomatiques avec l’Iran, annoncé le 10 décembre 2022 à Pékin – depuis la signature du premier traité d’amitié irano-saoudien, en 1929, les rapports entre les deux voisins n’ont cessé de passer par des hauts et des bas. La nouveauté tient au fait que cette normalisation diplomatique est le fruit d’une médiation chinoise, en plus d’efforts omanais et irakiens. Les dirigeants saoudiens se sont plu à le souligner, l’un d’eux affirmant que la Chine est désormais « un acteur majeur de la sécurité et de la stabilité du Golfe ».

Une pierre, ou plutôt un pavé, dans le jardin de Washington, traditionnel protecteur des monarchies de la péninsule, obligé de céder du terrain dans cette région à l’outsider chinois. Devenu il y a deux ans le principal partenaire commercial des membres du Conseil de coopération du Golfe, Pékin, qui est aussi le plus gros acheteur de brut saoudien, récolte les dividendes politiques de son investissement économique.

 

Toute à sa jubilation d’être sortie de son tête-à-tête inégal avec Washington, la couronne saoudienne s’est même permis d’annoncer le 15 mars qu’elle pourrait investir « très rapidement » en Iran. Un pied de nez, là encore, à la politique des Etats-Unis et de leur allié israélien, arc-boutée sur l’isolement de la république islamique.

« Diversification stratégique »

La veille, comme pour rasséréner le vieil Oncle Sam, qui s’inquiète de l’ascension de la Chine, les deux compagnies aériennes saoudiennes, Saudia et la toute nouvelle Riyadh Air, ont chacune commandé à Boeing trente-neuf long-courriers 787 Dreamliner, et posé des options pour quarante-trois appareils supplémentaires. Mais ce mégacontrat ne suffira pas à réparer les relations saoudo-américaines, abîmées par l’assassinat, en 2018, du journaliste Jamal Khashoggi – imputé par la CIA au prince héritier Mohammed Ben Salman (MBS) – et par des disputes sur le prix du pétrole.

« Ce à quoi l’on assiste, ce sont les prémices de la nouvelle stratégie de l’Arabie, déterminée à profiter à plein du monde multipolaire, qui succède à l’ère de la toute-puissance américaine, analyse Cinzia Bianco, spécialiste du Golfe au European Council on Foreign Relations. C’est de la diversification stratégique, une manière de répartir les mises, pour mieux se couvrir. »

L’attitude de Riyad vis-à-vis de la guerre en Ukraine fournit un autre exemple de cet équilibrisme. Fin février, le ministre des affaires étrangères saoudien, le prince Fayçal Ben Farhan, se rendait à Kiev et offrait au président Volodymyr Zelensky un package d’aide humanitaire de 400 millions de dollars (371 millions d’euros), au grand plaisir de Washington. Deux semaines plus tard, le même ministre rencontrait son homologue russe, Sergueï Lavrov, à Moscou, et offrait la médiation de l’Arabie dans le conflit.

« Il y a une évolution dans notre diplomatie, constate Faisal Abbas, directeur de la rédaction du quotidien anglophone saoudien Arab News. Nous n’avons aucun intérêt à rompre notre alliance avec l’Occident, mais celle-ci ne peut plus prévaloir sur nos intérêts. Par exemple, si le Congrès n’approuve pas les achats d’armes qu’on lui soumet, notre devoir est d’aller frapper à une autre porte. Nous sommes des alliés, pas des laquais. »

 

« C’est un nouvel homme »

 

Derrière l’avènement de cette diplomatie opportuniste, on décèle un double phénomène. Il y a tout d’abord l’essor du nationalisme saoudien, une politique du « Saudi First », encouragée par Mohammed Ben Salman qui, du fait de la santé déclinante de son père, le roi Salman, officie comme un souverain bis.

L’autre phénomène est une forme de prudence, inédite jusqu’ici chez le dauphin saoudien. Après avoir cédé aux sirènes du « hard power », que ce soit au Yémen depuis 2015, avec le blocus du Qatar en 2017, ou avec l’assassinat de Jamal Khashoggi, « MBS » paraît avoir tiré les leçons de ces aventures calamiteuses et découvert les limites de la manière forte.

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Benjamin Barthe

Source : Le Monde – (Le 21 mars 2023)

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