Le pouvoir, et le pouvoir politique en particulier, aiment à se mettre en scène. Peut-être même en scènes au pluriel pour reprendre le titre d’un ouvrage célèbre (Le pouvoir sur scènes de Georges Balandier). L’appétence et les formes de cette mise en scène varient peut-être suivant la nature des régimes politiques. Je me garderai bien de corréler au-dessus de mes moyens.
Le très irrévérencieux dessinateur Reiser avait assimilé les canons défilant sur la Place rouge au sexe de Brejnev. Ce qui, à ses yeux, expliquerait la prédilection du camarade Leonid pour les énormes défilés d’alors. Plus récemment, on se rappelle qu’après avoir assisté au défilé du 14 juillet, Trump avait commandé à «ses» militaires quelque chose qui y ressemblerait. Le hic était que le défilé militaire n’est pas vraiment dans les traditions de l’armée américaine. «Conneries de pays du tiers-monde» aurait même grommelé un général. Il est vrai qu’en notre belle Afrique par exemple, les chefs jubilent au spectacle, depuis leur tribune, de leurs soldats marchant devant eux, à l’exhibition de la quincaillerie toujours de sortie en ces circonstances.
Plus globalement, il n’y a rien de tel pour un gouvernant que les cérémonials pour s’exposer et faire étalage de sa puissance. Là aussi, les choses sont variables suivant la personnalité du chef et sa propension au culte de soi. Reste que rien n’est censé être anodin dans une manifestation officielle.
Les manifestations les plus chaotiques ne manquent pas de préserver l’essentiel : le rôle et la place du Chef. Il faut donc toujours être attentif à la scénographie et aux chorégraphies des événements, qu’ils soient culturel, politique ou même économique. L’on dit que le diable est dans le détail. Le sens aussi. Là gît la relation de pouvoir, le cas échéant le rapport de domination, le sentiment de considération ou à l’inverse de mépris. Là se loge la valorisation ou au contraire l’occultation. Qui est assis où? Sur quoi et à côté de qui ? La taille même du siège et sa forme font sens.
Une manifestation ne se réduit certes pas nécessairement à son volet spectacle mais celui-ci en est souvent partie prenante. Il faut se demander alors quels en sont les acteurs et les rôles. Il faut identifier qui regarde et qui est regardé, qui est censé danser et qui est supposé regarder danser, qui chante et qui écoute chanter et par-dessus tout qui parle et, plus encore, dans quelle langue.
On a beau considérer que «la parole publique est une langue morte», quand même ! Qu’elle soit entendue au sens religieux ou profane, la notion de ministère de la parole est éminemment parlante. Il faut considérer à la fois la parole, sa forme, son contenu bien entendu mais également son vecteur. Tout cela ensemble fait également sens.
Tijane BAL pour Kassataya.com