Au procès d’Ousmane Sonko pour diffamation, la fracture des deux Sénégal

Dans une ambiance électrique, le principal opposant au président Macky Sall comparaissait pour avoir accusé le ministre du tourisme, Mame Mbaye Niang, de détournements de fonds.

Le Monde – Il y a d’abord cette image. Celle d’un président d’une cour de justice entouré par neuf agents encagoulés du groupe d’intervention de la gendarmerie nationale (GIGN). Sommes-nous dans « une caserne » ?, se demandent certains avocats qui réclameront à plusieurs reprises que ces hommes armés quittent le lieu. Sans succès.

Jeudi 16 mars, alors que la salle d’audience numéro 7 du palais de justice de Dakar est cernée par les gendarmes d’élite, le pouvoir du président Macky Sall semble montrer ses muscles et sa nervosité. Certaines rues de la capitale sénégalaise sont gardées par des Eléphants ou autres Tigres, des appellations d’unités floquées sur la tôle blindée des camions antiémeutes.

 

Ce matin-là, le président de la cour Pape Mohamed Diop doit juger une affaire qui semble « ordinaire », ouverte une première fois, le 2 février, avant d’être reportée à deux reprises : une plainte pour diffamation entre deux hommes politiques. D’un côté, Ousmane Sonko, 48 ans, patron des Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), maire de Ziguinchor, la grande ville de Casamance, et principal adversaire du chef de l’Etat Macky Sall qu’il soupçonne de vouloir briguer un troisième mandat lors de la présidentielle du 25 février 2024. De l’autre côté, Mame Mbaye Niang, 46 ans, ministre du tourisme, que M. Sonko accuse de détournement de fonds.

« Littéralement brutalisé », « gazé »

10 h 41. La silhouette fine du leader de l’opposition entre dans la salle bondée. Il a l’air sonné, un peu perdu, presque fébrile. Sur le haut de son boubou crème apparaissent des traces rougeâtres. Ses avocats, plus d’une dizaine, l’entourent comme pour le protéger ou l’étreindre. L’un de ses conseils, Ousseynou Fall, prend alors la parole : il clame que son client a été « littéralement brutalisé », « gazé » aussi par la police en quittant son domicile, situé Cité Keur Gorgui, au nord de Dakar, pour se rendre à son procès. Tout comme leur confrère Ciré Clédor Ly qui accompagnait alors M. Sonko.

En effet, un peu plus tôt dans la matinée, le candidat à la présidentielle de 2024 s’est fait vivement malmener par les forces de l’ordre dans un nuage de lacrymogène. Pour cette troisième audience, le président du Pastef qui comparaît libre voulait choisir son itinéraire : en chemin, il a été embarqué par la brigade d’intervention polyvalente (BIP) qui l’a amené au tribunal.

 

Les minutes passent et ses avocats exigent le renvoi du procès afin que leur client se fasse « examiner par un médecin ». « Traumatisé », il ne serait « psychologiquement » pas apte à se défendre. On parle même d’une « tentative d’assassinat ». On évoque d’autres motifs… Quoi qu’il en soit, pour eux comme pour M. Sonko, un seul responsable : Macky Sall, « qui nous fait vivre une atmosphère de terreur », tonne MFall.

Justement, c’est au tour d’Ousmane Sonko de s’exprimer. Il commence et voilà Abdou Karim Diop, le procureur de la République, récemment nommé à ce poste, lui couper la parole : le ton monte encore d’un cran. « Vous dites que c’est un dossier ordinaire. En quoi un dossier ordinaire nécessite tout ce déploiement digne d’un état en guerre », lance-t-il en s’adressant au président de la cour. Il poursuit en dénonçant un « régime » qui « instrumentalise » la police et la gendarmerie : « Il n’y a pas d’institution dans ce pays ! (…) Je vous respecte [mais] est-ce que vous pensez monsieur le juge que Macky Sall est une institution ? »

Troisième renvoi du procès

Dans la salle de justice, M. Sonko profite de ces quelques minutes pour se livrer à un « mini-meeting », lui qui avait donné un « giga-meeting » deux jours plus tôt aux Parcelles assainies devant des dizaines de milliers de personnes. 11 h 18. Nouvelle suspension de séance. Le leader de l’opposition ne reviendra pas : il se fait examiner par un médecin. Tout comme Ciré Clédor Ly qui sera évacué à l’hôpital sous oxygène.

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Source : Le Monde

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