« La Chine s’est insérée dans le jeu moyen-oriental, profitant du retrait relatif des États-Unis »

La réussite de la médiation chinoise entre l’Iran et l’Arabie saoudite illustre la nouvelle donne régionale, entre influence grandissante de Pékin et autonomisation des puissances moyennes locales, relève dans sa chronique Alain Frachon, éditorialiste au « Monde ».

Le Monde – Vladimir Poutine a ramené les Etats-Unis en Europe : la guerre d’agression que le président russe poursuit en Ukraine renforce l’Alliance atlantique. En revanche, la médiation réussie de la Chine dans le vieux conflit du golfe Arabo-Persique confirme le retrait de Washington d’un Moyen-Orient qui fut longtemps sa chasse gardée. Ainsi en va-t-il du jeu inattendu des grandes puissances au crépuscule de ce premier quart de siècle.

 

Il faudra s’y habituer. La Chine de Xi Jinping – qui vient d’être adoubé pour un troisième mandat à la tête de l’Etat-parti – se risque aujourd’hui sur des terrains qu’elle ne fréquentait guère. Les grandes aventures diplomatiques restaient le monopole des Américains et des Russes. Prudents, les Chinois, le plus souvent, suivaient la ligne du Kremlin, du temps de l’Union soviétique et après.

Mais voilà, vendredi 10 mars, la nouvelle est venue de Pékin : après deux ans d’un dialogue parrainé par l’empire du Milieu, Iraniens et Saoudiens ont décidé de reprendre des relations diplomatiques rompues en 2016.

 

Ce n’est pas rien. La République islamique d’Iran et la monarchie saoudienne se disputent la prépondérance sur la région depuis des années. Leur conflit relève d’une classique bataille de pouvoir entre superpuissances régionales. Il est vieux comme l’antagonisme entre Perses et Arabes. Recoupant la ligne de fracture qui traverse le monde musulman, le conflit se nourrit de la rivalité entre sunnites (branche majoritaire de l’islam) et chiites (branche minoritaire).

 

S’émanciper du parrain américain

 

La théocratie saoudienne entend exercer son « leadership » sur le monde arabe sunnite. Appuyé par les émirats du Golfe, mais aussi par Israël, Riyad s’attache à enrayer l’expansionnisme iranien en terre arabe. A la tête d’un pays majoritairement chiite, la République islamique d’Iran se veut chef de file des minoritaires de l’islam. S’appuyant sur les communautés chiites du monde arabe, qu’elle a souvent armées, elle exerce une influence déterminante, et déstabilisante, dans la région.

Cette rivalité stratégique mine le Moyen-Orient. Elle entretient l’atroce guerre civile yéménite ; elle est au cœur des tourments du Liban ; elle est l’une des clés de la tragédie syrienne ; enfin, elle pèse sur l’avenir de l’Irak. Sans doute fallait-il un grand joueur de mah-jong, en l’espèce Wang Yi, le maître de la diplomatie chinoise, pour réussir une médiation entre Iraniens et Saoudiens – médiation qui peut ouvrir la voie à un apaisement régional.

Mais, outre l’activisme diplomatique de la Chine, le comportement de l’Arabie saoudite dans cette affaire est aussi typique d’une autre tendance de l’époque. Il témoigne de cette façon qu’ont les puissances moyennes de s’émanciper de leur parrain – en l’espèce les Etats-Unis. Dans un Moyen-Orient atomisé – où l’Amérique n’est plus l’acteur dominant –, le prince héritier Mohammed Ben Salman, dit « MBS », exploite un jeu diplomatique à touches multiples.

Il s’appuie sur la Chine, concurrent stratégique des Etats-Unis, pour rouvrir son ambassade en Iran, ennemi juré de Washington, tout en comptant plus que jamais sur le Pentagone pour assurer la protection du royaume. Courant mars, militaires saoudiens et américains manœuvreront ensemble – après quoi, Riyad s’apprêterait, selon notre confrère L’Opinion, à commander de puissants missiles chinois anti-navires ! En matière de realpolitik, le prince est un enfant de Machiavel.

Une « stratégie de l’opportunisme »

 

Au grand dam de la Maison Blanche, « MBS » a conclu un partenariat avec la Russie pour soutenir les prix du pétrole. Il négocie avec les Américains sur un projet de développement du nucléaire civil dans le royaume, mais entretient une relation de confiance avec Vladimir Poutine.

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Source : Le Monde – Avec AFP – Le 16 mars 2023

 

 

 

 

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