Manifestations, grèves… des spécialités françaises ?

“Râleurs”, “feignants”, et surtout “toujours en grève”, c'est l'image, entre autres clichés, que nous semblons renvoyer à l'étranger. Mais est-ce que les Français sont vraiment plus souvent en grève que les autres ?

France Cultures – Alors que le mouvement social contre la réforme des retraites s’intensifie en France, nous avons demandé à deux historiens, Danielle Tartakowsky, spécialiste de l’histoire sociale et politique de la France, et Antoine Destemberg, médiéviste et spécialiste des premières grèves universitaires, quelles sont les origines de ce qu’on pourrait appeler la « culture de la contestation à la française ».

Prendre la rue, tradition française

Sur les vingt dernières années, il y a toujours eu un pays européen avec plus de jours de grève que la France. Entre 2000 et 2009, en moyenne la Grèce (192 jours) et l’Espagne (152 jours) ont cumulé plus de journées de grève que nous (127 en France), et entre 2010 et 2019, c’est Chypre qui a explosé le record avec 275 journées de grèves. C’est ce qu’indiquent les statistiques du European Trade Union Institute.

Seulement, ces pays-là ne manifestent pas forcément les jours de grève. C’est ça qui rend en partie nos débrayages plus visibles. Les Français sont plus souvent dans la rue, et c’est historique d’après Danielle Tartakowsky : « Il est clair que la France est un pays où la politique, au plus haut niveau, s’est souvent jouée par et dans la rue. Notre République, la première, est née suite à la Révolution Française et le XIXe siècle a été un long siècle où les régimes se sont faits et défaits par et dans les journées révolutionnaires. »

Une barricade lors de la Commune, 1871.

© Getty

D’après cette historienne, la manifestation s’est donc affirmée au cours des siècles comme une manière de gérer les crises politiques. Et « c’est relativement exceptionnel, précise la spécialiste. La France n’a pas le monopole de ce rôle de la rue, on le retrouverait à peu près dans les mêmes termes en Argentine avec les péronistes et les anti-péronistes à différents moments de l’histoire argentine. On retrouverait certaines similitudes avec certains pays d’Amérique latine, mais en tout cas en Europe, on n’a absolument pas de phénomènes de même nature, ni en termes de siècle révolutionnaire, ni en termes de gestion des crises dans le cadre du régime existant ».

Quand la contestation devient culturelle

 

Cette exception est devenue un objet culturel, ce qui a renforcé à l’étranger l’idée que la France est liée à une culture de la contestation plutôt qu’à une culture de la négociation. Car selon Danielle Tartakowsky : « Cette République issue des révolutions s’est accompagnée de la construction d’un grand récit révolutionnaire et d’images qui font partie de notre culture nationale. Ce temps des révolutions a été magnifié par Victor Hugo. Les Misérables – même si on ne l’a pas lu – fait partie de notre culture nationale. Delacroix fait à ce point partie de notre culture nationale que le nombre de publicités qui utilisent cette pauvre « Liberté guidant le peuple » pour vendre tout autre chose est hallucinant. Donc, on a bien dans notre culture profonde, des mises en récit, des mises en images, voire des mises en sons – La Marseillaise a quand même un certain rythme – qui ont magnifié la lutte. »

« La Liberté guidant le peuple », célèbre tableau maintes fois utilisé dans la publicité, ou dans des mouvements sociaux à l’étranger.

© Getty – Eugène Delacroix

 

 

 

Autre élément d’importance, c’est l’utilisation par le patronat français du lock-out : la fermeture provisoire de l’usine ou du lieu de grève. Une stratégie pour contourner la protestation très utilisée par les patrons français au XIXe et début XXe siècle avant son interdiction. « Et si on « lock out » les ouvriers en grève, analyse l’historienne, ils manifestent, c’est leur manière de faire corps dans l’espace public dès lors qu’ils ont été mis à la porte de l’espace du travail. »

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Source : France Cultures

 

 

 

 

 

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