Tunisie, en référence au plat national ivoirien, composé de thon et d’attiéké (semoule de manioc). Comme d’autres rapatriés, l’interprète de 45 ans a passé trois jours à l’Institut national de la jeunesse et des sports (INJS), à Abidjan, pour effectuer des tests médicaux et réfléchir à sa réintégration professionnelle. Un répit bienvenu après la fuite éperdue des derniers jours.
– « Le garba m’a beaucoup manqué… Je vais en manger tous les jours non stop pendant un mois ! », s’amuse Mathilde Djiédé, tout juste rentrée deConfrontés à une vague de racisme et de violences sans précédent depuis les propos du président Kaïs Saïed à l’encontre des migrants subsahariens, de nombreux Ivoiriens ont quitté la Tunisie ou cherchent à le faire. Depuis le 4 mars, deux vols de rapatriement – sur les cinq prévus – ont été affrétés par le gouvernement ivoirien pour les ressortissants qui se sont inscrits sur les listes de départs volontaires de l’ambassade à Tunis. Au total, ils sont 1 600 à avoir fait la demande sur les 7 000 présents en Tunisie, selon les autorités ivoiriennes.
Le 21 février, lors d’un conseil national de sécurité, le chef de l’Etat tunisien avait évoqué des « hordes de migrants clandestins » dont la présence serait, selon lui, source de « violence, de crimes et d’actes inacceptables ». Il a dit souhaiter mettre « rapidement fin » à cette immigration, qui modifierait la composition de la population tunisienne. Une thèse proche de la théorie raciste et complotiste du « grand remplacement » et qui a entraîné de nombreuses exactions dans le pays.
« J’avais peur pour ma vie »
Agressions, expulsions, licenciements… « Les derniers jours ont été très difficiles. C’était une véritable chasse à l’homme noir : on assistait à des arrestations arbitraires, les locataires étaient virés de chez eux, relate Mathilde Djiédé. Tous les enfants et les enseignants de l’école ivoirienne de ma fille en Tunisie ont été arrêtés. Les policiers sont arrivés et ont arrêté tout le monde sans vérifier les papiers. »
Un calvaire pour les clandestins, mais aussi pour les Ouest-Africains en situation régulière. Comme Thierry Gnombré, qui était musicien et technicien dans le marbre en Tunisie depuis quatre ans. « J’étais plutôt respecté là-bas. Mais depuis quelques jours, il y avait des menaces, confie-t-il. Ils étaient capables de tout, j’avais peur pour ma vie. » A part sa guitare, l’artiste a laissé tous ses instruments et son matériel derrière lui.
Pourtant, souligne Mathilde Djiédé, la Tunisie « était réputée être le pays le moins raciste du Maghreb ». Les ressortissants de plusieurs pays de la sous-région peuvent y rester trois mois sans visa, mais une fois ce délai passé, les étrangers cumulent des pénalités mensuelles de séjour de 80 dinars (environ 24 euros), à verser avant de quitter le territoire. « Au bout d’un moment, c’était une somme globale que je ne pouvais plus payer. Je ne pouvais plus quitter le pays », explique Joséphine Assoumou, au côté de son fils de 2 ans.
Constantin Adisa, 27 ans, décrit la Tunisie comme une « prison à ciel ouvert » pour les Ouest-Africains
En raison de ces pénalités, certains étrangers sont contraints de rester vivre et travailler sur place. Comme Constantin Adisa, 27 ans, qui décrit la Tunisie comme une « prison à ciel ouvert » pour les Ouest-Africains. « Lorsque la pénalité devient trop élevée et que la vie en Tunisie est insupportable, certains Subsahariens préfèrent payer un passeur et tenter leur en chance en Europe par la Méditerranée », observe Gervais Boga Sako, président de la Fondation ivoirienne pour l’observation et la surveillance des droits de l’homme et de la vie politique (Fidhop).
« On te crache dessus, on te traite de singe »
Pour apaiser la situation, Kaïs Saïed a annulé le 3 mars les pénalités de séjour des ressortissants africains qui souhaitent rentrer volontairement, et a proposé le 5 mars des mesures pour améliorer la situation des étrangers en Tunisie et faciliter les procédures de régularisation de leur situation. Trop tard, estiment beaucoup d’Ivoiriens, qui rêvent aujourd’hui de retrouver leur famille et de lancer leur business dans la coiffure ou la restauration.
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