Du coup, la cueillette sauvage a diminué, et on ne peut pas le faire non plus dans les champs à cause de l’utilisation des intrants agricoles, tels que les pesticides et les engrais chimiques”, déplore M. Tagnan. Alors qu’aujourd’hui, note-t-il, c’est le beurre biologique qui est en vogue sur le marché international. Face à cette situation, il fallait développer des initiatives pour avoir des amandes saines et, partant, du beurre naturel. D’où la création des parcs à karité. En effet, la fédération Nununa a subi une perte énorme en 2018 quand elle a vu son beurre déclassé en raison d’une contamination aux produits chimiques.

L’acquisition des parcs a été possible grâce au soutien et à la compréhension des autorités locales et celles chargées de l’environnement. Dans la Sissili ou le Ziro, la plupart des parcs à karité sont exposés à des menaces de tout ordre. Prélèvement du bois vert, cueillette précoce des noix et surpâturage des animaux sont, entre autres, les violations les plus récurrentes.

 

Pillages et braconnages

 

Sur le site d’Oupon, dans la commune de Cassou, le constat est ahurissant. Le parc est constamment agressé, parfois nuitamment, par des populations riveraines qui abattent les arbres au grand dam du comité local de gestion et des forestiers. Les troncs d’arbres coupés, en particulier le karité, visibles par-ci par-là dans le parc, témoignent de l’ampleur du massacre. Pour le moment, Luc Nignan préfère jouer la carte de la sensibilisation, au motif que les contrevenants sont des ressortissants du village.

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La proximité du site avec la ville est une porte ouverte pour les visites d’humains en quête de bois de chauffe et des animaux en pâture. “Le carburant fait parfois défaut pour qu’on fasse des patrouilles régulières. C’est un handicap pour la protection”, révèle-t-il.

Outre les contrôles de routine, les parcs à karité bénéficient d’autres aménagements internes qui contribuent à préserver la biodiversité et à garantir la survie de Vitellaria paradoxa. Il s’agit de l’utilisation de pare-feu pour contrer les feux de brousse, de l’installation de ruches pour aider à la productivité de la flore, de la taille sanitaire du karité pour le débarrasser des plantes parasites et du greffage pour en améliorer la productivité.

L’initiative de la fédération Nununa de créer les parcs à karité a été unanimement saluée par les défenseurs de l’environnement. En plus de permettre d’avoir des amandes naturelles, laissent-ils entendre, les parcs contribuent à perpétuer le karité, qui est une espèce pourvoyeuse de produits forestiers non ligneux. Mieux, renchérit Ali Coulibaly, animateur au CAF de la Sissili, ces parcs contribuent à améliorer la superficie des réserves forestières des deux provinces.

 

Tuer un arbre, c’est se tuer soi-même

 

Au Burkina Faso, le karité est une espèce protégée par le Code forestier. Malgré tout, la menace qui pèse sur lui demeure réelle. Prisé par les charbonniers, selon les forestiers, Vitellaria paradoxa n’échappe pas non plus aux abattages lors de l’ouverture des nouvelles exploitations agricoles.

Abou Tagnan dit assister, impuissant, à la coupe abusive du bois vert à Sourou, son village natal, dans le Ziro. Face à la situation, il déclare avoir alerté, à maintes reprises, les autorités chargées de l’environnement au niveau provincial, régional et même central, en vain.

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“Le déboisement est avancé. Si l’on n’y prend garde, l’arbre à karité va disparaître, d’autant plus qu’on dit que son bois brûle bien”, prévient-il. Alors qu’à l’écouter, les bienfaits du karité, encore appelé “arbre miracle”, ne sont plus à démontrer. À travers ses fruits, mentionne M. Tagnan, le karité participe à la sécurité alimentaire des ménages dans les zones rurales. Quant à ses amandes, ajoute-t-il, elles constituent une véritable source de revenus pour nombre de femmes.

En plus de ses vertus thérapeutiques, le beurre de karité intervient dans certains rites et funérailles chez les Nuni”, fait savoir Abou Tagnan. Ali Coulibaly abonde en signalant que brûler un arbre à karité équivaut à brûler le porte-monnaie d’une famille. Et le responsable coutumier de Sapouy, Mahamadi Nama, de conclure que ce sont les arbres qui nous permettent de vivre. Tuer un arbre, pour lui, c’est se tuer soi-même.

 

Des fétiches pour protéger les arbres

 

Les coutumiers sont unanimes à reconnaître que les services de l’environnement seuls ne peuvent lutter contre le déboisement. C’est pourquoi, de temps à autre, ils mettent la main à la pâte. “Personne à Oupon n’ignore qu’on ne doit pas couper le karité”, clame Augustin Batian Nignan, un natif de la localité. En cas d’infraction, déclare-t-il, l’amende fixée par la tradition est soit un bœuf, soit un petit ruminant et des poulets, selon l’ampleur du préjudice. Et le contrevenant a deux options : payer l’amende ou quitter le village.

Malheureusement, regrette M. Nignan, avec l’avènement du modernisme, les méthodes traditionnelles de protection des arbres s’appliquent de moins en moins. C’est également l’avis du chef de canton de Sapouy, Mahamadi Nama. À ce qu’il dit, avant on impliquait les fétiches dans la sauvegarde de l’environnement. Des sacrifices étaient faits sur les autels des ancêtres pour interdire la coupe du karité.

“Celui qui transgresse les interdits est mordu par un serpent. S’il ne se déclare pas, c’est la mort qui s’ensuit. Pour réparer la faute, l’intéressé apporte un bœuf au cas où il a sciemment agi, et un mouton ou une chèvre s’il l’a fait par mégarde.”

 

“L’animal reçu est offert aux divinités de la brousse”, explique le responsable coutumier. De nos jours, relève-t-il, ces pratiques ont été abandonnées parce que le contexte a changé.

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Mahamadi Nama accuse surtout ses parents qui, obnubilés par l’argent, n’hésitent pas à vendre des centaines d’hectares aux agrobusinessmans venus de la capitale, Ouagadougou. “Chez nous, la terre ne se vend pas, mais l’argent a bouleversé l’ordre social”, soupire-t-il.

Selon la croyance populaire, rapporte Abou Tagnan, il était interdit de planter le karité au risque de mourir. D’aucuns disaient qu’il mettait vingt-trois ans avant de produire. Des stéréotypes qui sont actuellement révolus, puisqu’il estime qu’avec la recherche, en huit ans, Vitellaria paradoxa commence à produire.

Au regard du vieillissement des arbres à karité, M. Tagnan recommande aux autorités burkinabè de faire de la régénérescence de l’espèce une priorité. En attendant, les femmes de la fédération Nununa souhaitent la sécurisation de leurs parcs à karité par des textes afin qu’ils ne soient pas un jour transformés en champs de production agricole.