
Courrier international – À quelques encablures de Sapouy, dans la province du Ziro, région du Centre-Ouest, un massif forestier force l’admiration. Peuplé de différentes espèces végétales, dont le karité, le site s’étend sur une superficie de plus de 400 hectares. À l’intérieur, une portion de 120 hectares délimitée par des arbres peints au tronc constitue la chasse gardée de la fédération Nununa [coopérative de productrices de beurre de karité et de sésame]. Elle sert de parc à karité pour les femmes de la structure.
Une randonnée permet d’évaluer le potentiel de Vitellaria paradoxa (nom scientifique du karité) qui s’y trouve. Plus on avance, plus la population de l’espèce devient abondante. Il y en a de toutes les tailles et de tous les âges. Nous sommes au mois de mai 2022. Certains arbres exhibent déjà leurs fruits, d’autres n’en portent pas. Apparemment, les fruits n’ont pas tenu les promesses des fleurs.
Nichée entre les villages de Dianzoè, Lou, Sayaro et Sapouy, cette enclave forestière est sous la protection des services de l’environnement. Une aubaine pour les femmes de la fédération Nununa qui collectent des noix de karité saines pour la production du beurre biologique. Plus d’une centaine de femmes issues des quatre villages y trouvent leur pitance quotidienne à travers cette activité de collecte.
Autre lieu, même constat. À huit kilomètres de Cassou, un autre parc à karité s’étend à perte de vue. Luc Nignan en est l’animateur. À l’entendre, le chantier d’aménagement forestier (CAF) couvre une superficie de 100 hectares, dont 18 sont, pour l’instant, destinés à la collecte des noix.
Karité chimiquement pur
À l’entrée nord du parc, bordée d’une piste, on constate une végétation clairsemée qui s’épaissit au fur et à mesure que l’on progresse vers l’intérieur. La présence du karité est remarquable. Contrairement au premier site, ici l’abondance des fruits sur certains arbres présage une belle récolte. Seuls les vieux karités et ceux dont les branches ont été élaguées ne suivent pas le rythme.
Dans ce parc, aménagé il y a environ cinq ans, plus de cent femmes, issues de trois coopératives, gagnent leur vie en collectant des noix de karité qu’elles revendent à la fédération.
À l’image de ces deux sites, ils sont une douzaine de parcs de Vitellaria paradoxa aménagés dans la province du Ziro au profit de la fédération Nununa. Sapouy, Cassou, Bakata et Bougnounou sont les communes de cette province qui abritent ces réserves forestières.
Abou Tagnan est le représentant à Léo de la Fondation L’Occitane, le principal client de la fédération Nununa en matière de commande de beurre de karité biologique. Il fait aussi partie des pères fondateurs des parcs à karité. Pour lui, ce sont des espaces forestiers qui ont un fort potentiel de karité, généralement protégés par l’État ou concédés aux communautés locales. C’est dans ces domaines, indique-t-il, que la fédération Nununa a négocié des portions pour en faire les parcs à karité et ramasser des noix biologiques, exemptes de produits chimiques.
L’agrobusiness pointé du doigt
À entendre M. Tagnan, l’idée de créer les parcs est née du constat que les espaces sauvages dans lesquels on récoltait les noix de karité ont commencé à se réduire. La raison, selon lui, est que les agrobusinessmans ont accaparé de vastes terrains où ils ont détruit la flore, dont le karité, au profit des plantes exotiques.
“Du coup, la cueillette sauvage a diminué, et on ne peut pas le faire non plus dans les champs à cause de l’utilisation des intrants agricoles, tels que les pesticides et les engrais chimiques”, déplore M. Tagnan. Alors qu’aujourd’hui, note-t-il, c’est le beurre biologique qui est en vogue sur le marché international. Face à cette situation, il fallait développer des initiatives pour avoir des amandes saines et, partant, du beurre naturel. D’où la création des parcs à karité. En effet, la fédération Nununa a subi une perte énorme en 2018 quand elle a vu son beurre déclassé en raison d’une contamination aux produits chimiques.
L’acquisition des parcs a été possible grâce au soutien et à la compréhension des autorités locales et celles chargées de l’environnement. Dans la Sissili ou le Ziro, la plupart des parcs à karité sont exposés à des menaces de tout ordre. Prélèvement du bois vert, cueillette précoce des noix et surpâturage des animaux sont, entre autres, les violations les plus récurrentes.
Pillages et braconnages
Sur le site d’Oupon, dans la commune de Cassou, le constat est ahurissant. Le parc est constamment agressé, parfois nuitamment, par des populations riveraines qui abattent les arbres au grand dam du comité local de gestion et des forestiers. Les troncs d’arbres coupés, en particulier le karité, visibles par-ci par-là dans le parc, témoignent de l’ampleur du massacre. Pour le moment, Luc Nignan préfère jouer la carte de la sensibilisation, au motif que les contrevenants sont des ressortissants du village.
La proximité du site avec la ville est une porte ouverte pour les visites d’humains en quête de bois de chauffe et des animaux en pâture. “Le carburant fait parfois défaut pour qu’on fasse des patrouilles régulières. C’est un handicap pour la protection”, révèle-t-il.
Outre les contrôles de routine, les parcs à karité bénéficient d’autres aménagements internes qui contribuent à préserver la biodiversité et à garantir la survie de Vitellaria paradoxa. Il s’agit de l’utilisation de pare-feu pour contrer les feux de brousse, de l’installation de ruches pour aider à la productivité de la flore, de la taille sanitaire du karité pour le débarrasser des plantes parasites et du greffage pour en améliorer la productivité.
L’initiative de la fédération Nununa de créer les parcs à karité a été unanimement saluée par les défenseurs de l’environnement. En plus de permettre d’avoir des amandes naturelles, laissent-ils entendre, les parcs contribuent à perpétuer le karité, qui est une espèce pourvoyeuse de produits forestiers non ligneux. Mieux, renchérit Ali Coulibaly, animateur au CAF de la Sissili, ces parcs contribuent à améliorer la superficie des réserves forestières des deux provinces.
Tuer un arbre, c’est se tuer soi-même
Au Burkina Faso, le karité est une espèce protégée par le Code forestier. Malgré tout, la menace qui pèse sur lui demeure réelle. Prisé par les charbonniers, selon les forestiers, Vitellaria paradoxa n’échappe pas non plus aux abattages lors de l’ouverture des nouvelles exploitations agricoles.
Abou Tagnan dit assister, impuissant, à la coupe abusive du bois vert à Sourou, son village natal, dans le Ziro. Face à la situation, il déclare avoir alerté, à maintes reprises, les autorités chargées de l’environnement au niveau provincial, régional et même central, en vain.
“Le déboisement est avancé. Si l’on n’y prend garde, l’arbre à karité va disparaître, d’autant plus qu’on dit que son bois brûle bien”, prévient-il. Alors qu’à l’écouter, les bienfaits du karité, encore appelé “arbre miracle”, ne sont plus à démontrer. À travers ses fruits, mentionne M. Tagnan, le karité participe à la sécurité alimentaire des ménages dans les zones rurales. Quant à ses amandes, ajoute-t-il, elles constituent une véritable source de revenus pour nombre de femmes.
“En plus de ses vertus thérapeutiques, le beurre de karité intervient dans certains rites et funérailles chez les Nuni”, fait savoir Abou Tagnan. Ali Coulibaly abonde en signalant que brûler un arbre à karité équivaut à brûler le porte-monnaie d’une famille. Et le responsable coutumier de Sapouy, Mahamadi Nama, de conclure que ce sont les arbres qui nous permettent de vivre. Tuer un arbre, pour lui, c’est se tuer soi-même.
Des fétiches pour protéger les arbres
Les coutumiers sont unanimes à reconnaître que les services de l’environnement seuls ne peuvent lutter contre le déboisement. C’est pourquoi, de temps à autre, ils mettent la main à la pâte. “Personne à Oupon n’ignore qu’on ne doit pas couper le karité”, clame Augustin Batian Nignan, un natif de la localité. En cas d’infraction, déclare-t-il, l’amende fixée par la tradition est soit un bœuf, soit un petit ruminant et des poulets, selon l’ampleur du préjudice. Et le contrevenant a deux options : payer l’amende ou quitter le village.
Malheureusement, regrette M. Nignan, avec l’avènement du modernisme, les méthodes traditionnelles de protection des arbres s’appliquent de moins en moins. C’est également l’avis du chef de canton de Sapouy, Mahamadi Nama. À ce qu’il dit, avant on impliquait les fétiches dans la sauvegarde de l’environnement. Des sacrifices étaient faits sur les autels des ancêtres pour interdire la coupe du karité.
“Celui qui transgresse les interdits est mordu par un serpent. S’il ne se déclare pas, c’est la mort qui s’ensuit. Pour réparer la faute, l’intéressé apporte un bœuf au cas où il a sciemment agi, et un mouton ou une chèvre s’il l’a fait par mégarde.”
“L’animal reçu est offert aux divinités de la brousse”, explique le responsable coutumier. De nos jours, relève-t-il, ces pratiques ont été abandonnées parce que le contexte a changé.
Mahamadi Nama accuse surtout ses parents qui, obnubilés par l’argent, n’hésitent pas à vendre des centaines d’hectares aux agrobusinessmans venus de la capitale, Ouagadougou. “Chez nous, la terre ne se vend pas, mais l’argent a bouleversé l’ordre social”, soupire-t-il.
Selon la croyance populaire, rapporte Abou Tagnan, il était interdit de planter le karité au risque de mourir. D’aucuns disaient qu’il mettait vingt-trois ans avant de produire. Des stéréotypes qui sont actuellement révolus, puisqu’il estime qu’avec la recherche, en huit ans, Vitellaria paradoxa commence à produire.
Au regard du vieillissement des arbres à karité, M. Tagnan recommande aux autorités burkinabè de faire de la régénérescence de l’espèce une priorité. En attendant, les femmes de la fédération Nununa souhaitent la sécurisation de leurs parcs à karité par des textes afin qu’ils ne soient pas un jour transformés en champs de production agricole.
Sidwaya (Ouagadougou)
Créé dans la foulée de la “révolution” de Thomas Sankara (1983), ce quotidien est le titre phare de la presse gouvernementale.
Source : Courrier international
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