
Le Monde – Best-seller de la littérature anglophone, avec une cinquantaine de traductions et plus de 10 millions d’exemplaires vendus depuis sa parution en 1958, Things fall apart (Tout s’effondre, Actes Sud, 2016) de l’écrivain nigérian Chinua Achebe, raconte la décomposition d’un monde. Celui reposant sur un ensemble de règles, croyances et traditions, à jamais bouleversées par l’arrivée, à la fin du XIXe siècle, des missionnaires et colons britanniques en pays igbo, dans le sud-est du Nigeria actuel.
Il n’est pas anodin que la Banque mondiale ait choisi de faire référence à ce célèbre et tragique roman, dans sa dernière somme consacrée à l’économie nigériane. « Continuer sur la même voie – celle du business as usual – est un choix », indiquait l’institution dans ce rapport publié en décembre 2022. Mais un choix périlleux, risquant de provoquer « un scénario que l’on pourrait surnommer : tout s’effondre ».
L’avertissement s’adresse aux dirigeants de cette nation, la plus peuplée d’Afrique, avec près de 215 millions d’habitants, où les électeurs doivent voter le 25 février pour élire un nouveau président. L’effritement qui menace le géant d’Afrique de l’Ouest est d’un autre ordre que celui, civilisationnel, dépeint par Chinua Achebe. Mais ses conséquences – croissance anémique, développement à l’arrêt, instabilité sur tous les fronts – sont tout aussi radicales. Or à quelques jours du scrutin, les signes d’un chaos économique n’ont jamais semblé si concrets. Les pénuries d’essence, récurrentes depuis un an, se sont aggravées. Les files d’attente ont démesurément enflé aux abords des stations-service du pays, pourtant l’un des principaux producteurs d’or noir d’Afrique.
Les Nigérians ordinaires se sont appauvris
Depuis quelques semaines, une autre disette pénalise encore plus durement les Nigérians : celle qui affecte les billets de banque, quasiment introuvables sous l’effet d’une refonte monétaire lancée en octobre par la Banque centrale du Nigeria (CBN). L’institution avait annoncé de but en blanc l’introduction de nouvelles coupures et prévenu que les anciens billets ne seraient plus valables à compter de début février, une échéance repoussée in extremis au 10 avril sous la pression populaire.
La décision, selon la CBN, vise à limiter l’argent liquide en circulation pour renforcer l’efficacité des politiques monétaires. D’autres y voient une stratégie destinée à empêcher les achats de votes. Mais pour l’heure, la mise en œuvre brouillonne de la réforme a surtout perturbé le quotidien d’un pays dont l’économie reste largement informelle. La quasi-impossibilité de troquer les anciens billets contre des nouveaux a provoqué des émeutes et pourrait, selon les analystes, peser sur les chiffres de la croissance au premier trimestre.
Déjà fort mal en point, l’économie nigériane n’en avait vraiment pas besoin. Au cours des huit années au pouvoir du président sortant, l’octogénaire Muhammadu Buhari, l’activité a crû de 1,4 % par an en moyenne. Bien moins vite que la croissance de la population (2,5 %), ce qui signifie qu’en termes réels, les Nigérians ordinaires se sont appauvris. Entre 80 millions et 90 millions de personnes vivent avec moins de 2 dollars par jour et leur nombre ne cesse de croître sous l’effet d’une inflation galopante (19 % en 2022).
Au quotidien, ménages et entreprises doivent aussi composer avec des infrastructures défaillantes, des routes au tout-à-l’égout en passant par le réseau électrique. Selon la Banque mondiale, la plupart des sociétés raccordées reçoivent moins de cinq heures de courant par jour, et 40 % de la population n’a pas accès à l’électricité.
« Les responsables politiques sont les principaux fautifs de cette spirale négative, assène l’économiste Michael Famoroti, responsable de la publication économique nigériane Stears. Les difficultés énergétiques et l’inflation ont été le lot commun de nombreux pays ces derniers mois. Mais au Nigeria, ces problèmes ont des causes structurelles. Et quand le reste du monde va commencer à redresser la tête, nous allons continuer à nous débattre dans la crise. »
Quintessence des dysfonctionnements
La pandémie et le conflit russo-ukrainien n’ont pas arrangé les affaires d’un pays durement ébranlé par la chute vertigineuse des prix du pétrole en 2015, puis en 2020. Mais, dans le même temps, « Buhari et son équipe ont multiplié les décisions dramatiques », estime Benjamin Augé, chercheur associé au Centre Afrique subsaharienne de l’Institut français des relations internationales (IFRI).
Source : Le Monde
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