Mauritanie – Souvi, message aux vivants / Par Tijane BAL

Quelle marée humaine ! Ce ne sont pas, en tout cas pas seulement, des funérailles.  C’est un hommage «national». A ceci près qu’il n’a été décrété par aucune autorité établie mais s’est imposé de lui-même, seulement gouverné par la spontanéité et l’envie d’être là. En cela, la symbolique de ce raz-de-marée, venu dire adieu est autrement plus saisissante qu’une scénographie de cérémonie officielle. Il est rare que l’officiel soit totalement vrai et authentique. C’est même pour cela qu’il est sinon opposé au moins distingué du «populaire».

Le tragique de la mort de Souvi Cheine a souvent appelé le parallèle avec l’assassinat de George Floyd mais bien moins en revanche avec la mort du Tunisien Mohamed Bouazizi. Il emprunte pourtant à l’un comme à l’autre tout en s’en distinguant.

Quelques similitudes. Comme George Floyd, Souvi Cheine a été victime de la brutalité «humaine» poussée à son paroxysme. Jusqu’au dernier souffle au sens strict puisque le supplicié a succombé suite à une suffocation. Comme celui de George Floyd, son trépas a illustré à quel point toute humanité pouvait déserter les humains lorsque ceux-ci sont aveuglés et rendus étrangers à eux-mêmes par la haine et le mépris.

Comme la fin de Bouazizi, le calvaire de Souvi a transformé la supposée «défaite par excellence» qu’est censée être la mort, toute mort, en un message aux vivants, comme une injonction à poursuivre. Par fidélité au courage de celui qui s’en est allé et en reconnaissance de ce pourquoi il s’en est allé. Il y a des issues qui scindent le temps en un avant et un après. Et qui disent: plus jamais ça. Il arrive qu’elles soient aussi porteuses d’ondes de chocs aux effets potentiellement incommensurables.

En cherchant un peu plus, on trouverait bien d’autres similitudes. Mais il y a aussi des différences. Le suicide comme manière de dénouement en est une. Il fut le « non choix » de Bouazizi et définitivement pas celui de Souvi. Les trajectoires antérieures des uns et des autres diffèrent également. George Floyd par exemple ne fut militant de rien du tout avant de devenir, bien malgré lui, la figure planétaire du militantisme par excellence. Les circonstances de sa mort commandaient l’impasse sur ce qui fut un pan de sa vie. Rien de bien grave ou qui, en tout cas,justifierait la mort, la sienne ou celle de qui que ce soit.

Le nom et le visage de l’artisan de la mort de Souvi seront infiniment moins connus que ceux du sinistre Derek Chauvin, le policier au genou meurtrier. Pas étonnant. La Mauritanie, ce ne sont pas les Etats-Unis. D’ailleurs, la planète a superbement ignoré le martyre de Souvi comme elle le fait pour tant d’autres. C’est peut-être ce qu’on nomme la «loi du mort sentimental» chère au journalisme. C’est, d’une certaine façon, un mal pour un bien. Il s’agit, par la force des choses, de ne pas focaliser exclusivement sur un homme si détestable soit-il et de ne pas l’ériger en paratonnerre. Car au-delà de cet homme, ce qui compte, c’est la culture institutionnelle qui l’a fait ce qu’il est devenu.

 

 

 

 

Tijane BAL pour Kassataya.com

 

 

 

 

 

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