Sociologie humoristique

 

D’ailleurs, la formule ne fonctionne pas seulement auprès d’un public aux origines maghrébines. Certes les histoires personnelles des humoristes font écho à des millions de parcours d’enfants d’immigrés. Mais cet humour, qui est une forme de sociologie des binationaux, permet aussi de créer un lien avec d’autres populations.

Parfois il crée même un pont entre le pays d’origine et le pays d’immigration. De nombreux humoristes d’origine algérienne ont pu venir jouer sur les terres de leurs ancêtres. Parfois même dans leur ville d’origine où un public les attendait.

Un acteur du secteur événementiel (en France et en Algérie) estime que ces stand-uppeurs franco-algériens parviennent à toucher un public maghrébin pour une raison précise.

“Ces binationaux sont nés et ont grandi en France avec une éducation algérienne donc généralement les parents ne sont pas nés là-bas, on est sur la deuxième génération d’immigrés. Leurs parents sont partis travailler en France avec une culture algéro-algérienne et finalement le paradoxe était que ces personnes ont vécu à la maison, pratiquement la même éducation que les Algériens. Avec cette touche française, le fameux ‘immigré’ ou ‘zimmigri’ comme on l’aimait le dire. Et ça provoque le rire, on a tous vécu la même chose”, explique notre interlocuteur qui a pu rencontrer ces stand-uppeurs venus tester leur verve en Algérie.

“Moi aussi je suis né et j’ai grandi en France”, confie notre interlocuteur, qui ressent la même chose que ses compatriotes et qui estime :

“Ce mélange de cultures a permis que l’on se retrouve tous autour de l’origine algérienne avec des regards différents de part et d’autre de la Méditerranée. C’est cela qui, je pense, est très drôle à vivre humainement et les Algériens en sont friands maintenant.”

 

Cette expérience commune de l’éducation “à l’algérienne en France” ou encore de “ce cousin qui venait en Algérie l’été avec une paire de baskets, les bananes et le pot de Nutella et que tout le monde aimait” a permis une jolie complexité dans la culture partagée par les deux rives de la Méditerranée.

Mais aussi des ficelles humoristiques évidentes. On ne cache pas sa différence, mais on l’assume dans le stand-up. “L’immigré qui se prend une ‘traha’ de sa maman alors que le petit Français ne l’a pas, ça fait rire tout le monde”, estime notre interlocuteur.

 

Un public international séduit par la sauce algérienne

 

Le stand-up par exemple ne se cantonne pas à la région parisienne. Des comiques comme Ahmed Sparrow ou Redouane Bougheraba ont fait rire le public du célèbre festival d’humour de Montreux en Suisse. Le Comte de Bouderbala était le premier artiste franco-algérien à jouer sur la scène du Comedy Cellar à Manhattan. Naïm s’est même produit à un festival d’humour à Tel-Aviv, où il promettait de rester lui-même sans se censurer.

Cette scène qui a également intégré la production de séries et de films offre même l’opportunité de raconter leur histoire à travers les plateformes de vidéos en ligne. Les sketchs font des cartons sur YouTube et peuvent être regardés dans le monde entier.

Des séries dont le casting a été pioché dans ce vivier de comiques talentueux, offrent aussi une vitrine intéressante. La série Drôle sur Netflix a permis de raconter cette France diversifiée en suivant le parcours de différents stand-uppeurs qui tentent de s’inventer une place dans la société française en passant par l’humour. Le personnage principal est joué par le rappeur d’origine algérienne Younes Boucif. Le jeune stand-uppeur dans la série s’inspire de sa famille.

La série Miskina de Melha Bedia est également intéressante, elle donne à voir la réalité des familles algériennes mais aussi maghrébines. Cette comédie a séduit un large public sur Amazon Prime et a même été saluée par la presse française.

 

“La série m’a vraiment plu parce que, pour une fois, j’ai eu l’impression que ça collait à la réalité. On était vraiment dans le quotidien d’une famille algérienne en France d’aujourd’hui. Chaque membre est différent, il y a des particularités dans les personnalités. Tout se mélange”, explique Anissa, une Marseillaise franco-algérienne de 26 ans, qui pourtant n’a aucun lien avec l’histoire de la série qui se déroule en banlieue parisienne.

Ces productions qui sont la suite logique du travail fait sur scène permettent de retravailler l’image des Français d’origine étrangère. L’humour est finalement un décrypteur de ce pan de la société française qu’on ne retrouve pas dans les médias ou les arts classiques.