Football : les contestations envers les arbitres, un poison lent qui abîme le sport

Sur les terrains de football, professionnel comme amateur, les contestations sont presque considérées comme faisant partie du jeu. Cette forme de violence verbale exaspère certains arbitres, qui réclament un changement des comportements.

Le Monde  – « Il faudrait distribuer un carton rouge à chaque joueur qui entoure l’arbitre pour protester contre une de ses décisions, quitte à faire jouer une équipe à 7 contre 10. » L’arbitre allemand Patrick Ittrich ne supporte plus les contestations récurrentes des footballeurs et l’a fait savoir, début janvier, dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung, quotidien d’outre-Rhin. Sa proposition radicale témoigne d’un ras-le-bol partagé par certains de ses homologues français.

 

Au football, protester contre les décisions de l’arbitre fait, d’une certaine manière, partie du folklore. Pour autant, ces contestations exaspèrent les arbitres et une partie des spectateurs. « Quand je vois une équipe entière entourer l’arbitre, je me dis que l’on a raté un truc », estime Tony Chapron, ancien homme en noir de Ligue 1, aujourd’hui consultant pour Canal+. Cet arbitre, comme d’autres, estime que ces contestations, qui ont toujours existé, sont désormais de plus en plus virulentes.

Ce constat, Michel Vautrot le partage entièrement. Arbitre international français entre 1972 et 1991, le Franc-Comtois déplore des protestations permanentes « qui n’existent dans aucun autre sport ». Pour lui, le corps arbitral a aussi sa part de responsabilité dans la dégradation de ses rapports avec les footballeurs. « Les instances ont robotisé les arbitres, estime-t-il. Donnez-moi le nom d’un arbitre qui a du charisme comme autrefois ? » M. Vautrot souligne aussi « un laxisme qui dure depuis trop longtemps ».

Laxistes envers les joueurs, les arbitres ? Cyril Jeunechamp n’est certainement pas de cet avis. Avec 138 cartons jaunes et 20 cartons rouges récoltés en 510 matchs pendant sa carrière professionnelle, le Nîmois avait une relation tendue avec les arbitres. « J’étais un joueur de caractère plus sanctionné que les autres, estime le champion de France de Ligue 1, en 2012, avec Montpellier. Certains arbitres abusaient de leur pouvoir. C’est encore le cas aujourd’hui. Ils veulent montrer qui est le patron avec leurs cartons. » Coach des U19 (moins de 19 ans) du SC Bastia depuis trois saisons, Cyril Jeunechamp met en garde ses joueurs de ne pas tomber dans le même piège que lui : « Ils savent qu’il ne faut pas râler pour rien. »

 

Plus virulents depuis le Covid-19

 

« Vous êtes un arbitre de merde. » Alors qu’il dirige un match de Coupe du district U17 en octobre 2022, Enzo Tison prend ces mots en pleine figure. Ils sont lancés par un gardien qui vient d’encaisser un cinquième but. « J’étais choqué et remonté. Je me suis dit que ça n’arrivait finalement pas qu’aux autres », se souvient le jeune de 18 ans.

Les arbitres sont directement confrontés à l’agressivité des footballeurs. « Depuis le Covid-19, les joueurs sont plus virulents. J’ai vu plus de cartons rouges distribués pour comportements injurieux », observe Kassandra Marolleau, arbitre assistante au niveau régional. Des propos confirmés par Patrick Vaugeois, arbitre en première division de district. A 52 ans, dont dix-sept au service de l’arbitrage, il regrette la disparition de l’atmosphère sereine qui enveloppait le football amateur : « Il m’arrive de ne pas me sentir en sécurité. A une époque, lorsque le match était terminé, on cassait la croûte avec les joueurs, on ne parlait plus du match. Récemment, des joueurs sont venus en meute, pendant la collation, m’attaquer verbalement pour des erreurs que j’avais commises. Je me suis senti très seul. J’avais le sentiment d’être sur le banc des accusés. »

Si, sur les pelouses de l’Hexagone, les joueurs sont sous pression, le bord des terrains n’y est pas pour rien. Le long de la main courante, des spectateurs trop envahissants peuvent rendre un match difficile à gérer pour le corps arbitral. Patrick Vaugeois, qui est aussi éducateur d’arbitres, dresse un constat amer : « Certains samedis, c’est horrible ! Des parents pensent que leurs enfants jouent la Ligue des champions. Ils les rendent nerveux. » Le football féminin ne déroge pas à la tendance. « Pour un match de Coupe de France, j’ai signalé un hors-jeu invalidant un but de l’équipe locale. Je me suis fait huer par tout le stade alors que j’avais juste fait mon travail, explique Kassandra Marolleau. Dès lors, les joueuses se sont mises à douter de toutes les décisions. »

 

Cette stratégie de la contestation systématique participe à l’entretien d’un cercle vicieux. Mis en porte-à-faux, les arbitres peuvent être poussés à être moins impartiaux. L’émotion prend parfois le dessus. « Un mec qui vous énerve, vous êtes plus sévère avec lui. En temps normal, vous n’auriez pas sifflé une de ses fautes, là, vous le faites », assume Tony Chapron. En découlent d’autres contestations.

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Source : Le Monde
 
 

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