Le football, nouvelle vitrine du « soft power » de l’Arabie saoudite

La signature de Cristiano Ronaldo à Al-Nassr, fin 2022, représente le plus grand coup du royaume dans sa stratégie de rayonnement par le sport. Le match amical organisé jeudi face au PSG de Lionel Messi met en lumière cette opération.

Le Monde  – En termes d’affiche promotionnelle pour l’Arabie saoudite, difficile de faire mieux. Jeudi 19 janvier, à 18 heures, le Paris-Saint-Germain (PSG), emmené par Lionel Messi, affronte une sélection de joueurs de deux clubs de la capitale du royaume, Al-Hilal et Al-Nassr, au stade international du Roi-Fahd, à Riyad. Ce match d’exhibition a pris une résonance inattendue avec les retrouvailles entre l’Argentin, septuple Ballon d’or et récemment sacré champion du monde au Qatar, et le Portugais Cristiano Ronaldo, lauréat à cinq reprises du trophée récompensant le meilleur footballeur de l’année.

Cela fait plus de deux ans que les deux attaquants, dont la rivalité a rythmé le monde du ballon rond de 2009 à 2018, ne s’étaient plus défiés sur un terrain. Cette rencontre pourrait être l’un de leurs derniers face-à-face. Il s’en est fallu de peu, car celle-ci devait se tenir il y a un an, avant d’être reportée en raison de la pandémie de Covid-19.

A l’époque, Cristiano Ronaldo portait encore les couleurs de Manchester United. Sa signature, fin décembre 2022, à Al-Nassr – avec un contrat pharaonique à la clé – marque le dernier grand coup du royaume dans sa stratégie de rayonnement par le sport. « Je ne doute pas que son arrivée améliorera notre championnat et profitera à l’écosystème du football saoudien à long terme », se réjouit auprès du Monde Yasser Al Misehal, le président de la fédération saoudienne de football (SAFF).

 

Se faire une place sur la carte du football mondial

 

En s’octroyant les services de l’un des meilleurs joueurs de sa génération, le pays « s’achète un joyau, une personnalité qui a quelque chose de sacré aux yeux des acteurs du sport », résume Raphaël Le Magoariec, spécialiste de la géopolitique du sport des pays du Golfe à l’université de Tours.

 

Dans l’optique d’organiser la Coupe du monde en 2030, alors qu’une candidature commune avec l’Egypte et la Grèce est régulièrement évoquée ? « Il ne fait aucun doute que ce serait l’honneur et le privilège ultime. Et nous pensons que nous possédons bon nombre des qualités et des valeurs nécessaires pour accueillir le tournoi, des supporteurs passionnés aux infrastructures, en passant par le désir d’ouvrir notre pays et de rassembler. Toutefois, aucune décision n’a été prise », explique le patron de la SAFF.

 

En octobre 2021, le fonds souverain du royaume (PIF) a acquis 80 % des parts du club de Newcastle

 

Cristiano Ronaldo joue un rôle clé dans le dessein de l’Arabie saoudite de se faire une place sur la carte du football mondial. « Il y a aussi d’autres éléments qui entrent en ligne de mire, notamment Newcastle, la prise d’un club pour se légitimer à l’échelle internationale », rappelle M. Le Magoariec. En octobre 2021, le Public Investment Fund (PIF), le fonds souverain du royaume, a acquis 80 % des parts du club anglais. Les Magpies, à la dix-neuvième et avant-dernière place de la très suivie Premier League au moment du rachat, rivalisent désormais avec les meilleures écuries du Royaume-Uni.

 

Cette stratégie n’a rien d’inédite : le Qatar l’a menée quelques années plus tôt. Avant de s’offrir le PSG en 2011, l’émirat avait, lui aussi, enrôlé des stars vieillissantes dans sa première division, à l’instar du Brésilien Romario (Al-Sadd, 2002-2003) ou du champion du monde 1998 Marcel Desailly (Al-Gharafa, 2004-2005).

Mais le calibre du Portugais de 37 ans est sans commune mesure. Moins de vingt-quatre heures après l’annonce de son arrivée, le nombre d’abonnés aux pages d’Al-Nassr sur les réseaux sociaux a explosé : il est passé de 834 000 à plus de 3,4 millions sur Twitter ; celui de la plate-forme Instagram a enregistré une hausse de 400 %, soit 2,5 millions d’utilisateurs supplémentaires. « L’Asie n’a jamais rien vu de tel, écrivait le quotidien anglophone Gulf News, basé à Dubaï, le 2 janvier. Partout où il ira, [Ronaldo] captera l’attention et si seulement 10 % de ses followers s’intéressent à son nouveau club, la Ligue saoudienne va devenir une des plus regardées au monde. »

 

Préparer l’après-pétrole

 

Les dirigeants saoudiens ont l’impression d’avoir un temps de retard par rapport à Doha ou à Abu Dhabi, actionnaire majoritaire de Manchester City depuis 2008. Or, « le royaume se voit comme le leader de la région en termes d’histoire, de religion, d’économie, de démographie, militairement… C’est inenvisageable pour lui de se contenter de la troisième place quand il est question d’investir dans le sport », développe Mahfoud Amara, professeur associé en management du sport à l’université du Qatar.

Le rigorisme religieux qui a prévalu dans le pays après la prise d’otages de La Mecque par des fondamentalistes islamistes, en 1979, s’est accompagné d’un verrouillage de tous les secteurs du divertissement. Et il a fallu attendre l’arrivée au pouvoir du roi Salmane, en 2015, et surtout du prince héritier, Mohammed Ben Salmane (« MBS »), en 2017, pour que l’Arabie saoudite amorce enfin sa mue.

 

Pour le professeur Mahfoud Amara, « la nouvelle administration a compris l’importance d’être un acteur international dans le domaine du sport »

 

« La nouvelle administration a compris l’importance d’être un acteur international dans le domaine du sport et surtout de l’industrie du football, fait valoir M. Amara. Elle a pleinement conscience des avantages qu’elle peut en tirer à l’intérieur du pays, vis-à-vis de la population qui est majoritairement jeune et urbaine ; mais aussi dans la région, en opposition au grand rival, l’Iran, et au-delà. »

En 2016, un plan de réformes baptisé « Vision 2030 » est lancé. Objectif ? Préparer l’après-pétrole en diversifiant les ressources de l’économie. L’Arabie saoudite s’établit alors progressivement comme une terre d’accueil de grandes compétitions, des Supercoupes de football d’Espagne et d’Italie au championnat du monde de boxe poids lourds en passant par des courses automobiles – un Grand Prix de Formule 1 ou le rallye Dakar.

Une manière, aussi, d’essayer de redorer son image auprès de l’opinion occidentale, qui lui associe plus volontiers des violations des droits humains en raison de la guerre qu’elle mène au Yémen depuis mars 2015 ou encore de l’assassinat du journaliste et dissident Jamal Khashoggi dans le consulat saoudien d’Istanbul (Turquie), en 2018.

 

 

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Source : Le Monde 

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