France – Silence, des enfants d’immigrés s’ «intègrent » !

La « disparition » sociale et médiatique des « enfants d’immigrés qui ont réussi » s’explique par le processus d’intégration « à la française », qui réserve à la sphère privée la question des origines et de la religion. Une invisibilisation qui a de funestes effets, explique Philippe Bernard, éditorialiste au « Monde », dans sa chronique.

Le Monde – L’ennui avec l’éternel débat sur l’« immigration », de retour en France avec l’examen d’un projet de loi au Parlement, c’est que l’écart entre des réalités complexes et les éléments de langage utilisés dans le débat public pour les évoquer ne cesse de s’accroître, au risque de la confusion et de la manipulation.

 

« En France, l’intégration des musulmans est un échec. » Ce refrain sonne aujourd’hui comme un constat d’évidence. Les émeutes urbaines de 2005, les attentats de 2012 et de 2015 auraient confirmé l’obsolescence du « creuset français », dont les soubresauts mais aussi la remarquable et ancienne efficacité avaient été décrits et analysés à la fin des années 1980 par l’historien Gérard Noiriel.

L’« intégration », ce mot couramment utilisé pour désigner l’incorporation plus ou moins sereine des immigrés et de leurs enfants à la communauté nationale, longtemps brandie comme un objectif politique, n’est plus en vogue : considéré comme une injonction discriminante par les descendants d’immigrés, le terme se retrouve désormais surtout dans la bouche ou sous la plume de ceux qui, en présentant l’intégration comme une promesse définitivement morte, signifient qu’ils la rejettent au nom de la préservation d’une identité nationale prétendument immuable.

Le mot d’ordre de l’« intégration » est si brouillé que c’est Gérald Darmanin, ministre de la police, qui l’utilise pour « vendre » une disposition censée « équilibrer » le caractère répressif de son projet de loi, un article défendable, mais dérisoire au regard des enjeux : l’exigence de réussite à un examen de français pour la délivrance d’un titre de séjour.

 

Si l’idée – sinon le mot – d’« intégration » a quasi disparu des radars médiatiques et politiques, c’est peut-être que ce processus est partiellement en marche et que « les trains qui arrivent à l’heure » (autrement dit ce qui fonctionne) n’intéressent ni les journalistes ni les élus. En ces temps de tourbillon identitaire où un chroniqueur peut affirmer sur la chaîne CNews que les musulmans « s’en foutent de la République » et « ne savent même pas ce que le mot veut dire », il faut (re)lire la captivante monographie de Stéphane Beaud intitulée La France des Belhoumi. Portraits de famille (La Découverte 2018, rééd. 2020).

 

« Processus silencieux »

 

Pendant cinq ans, le sociologue a suivi une fratrie de huit enfants nés de parents immigrés algériens et ayant grandi en France entre 1977 et 2017, dont il retrace les itinéraires. Son récit, digne d’une série télévisée, ne verse pas dans l’eau de rose : il y est question de prison, de drogue, d’échec scolaire, de déchirements sur l’islam et de conflits de loyauté historique et de classe, mais aussi de la solidarité familiale et de l’appui des institutions scolaires et sociales.

 

La famille Belhoumi (un nom d’emprunt) n’a aucune chance de « faire l’actualité » ni d’intéresser un ministre de l’intérieur : les huit enfants d’immigrés ont tous un emploi durable, et leur qualité de citoyen français ne fait aucun doute. En creux, le livre raconte les impasses, les incompréhensions, et montre ce qui ne marche vraiment pas en matière d’éducation et de logement.

Stéphane Beaud établit un fait social aussi important que méconnu : « Le processus silencieux de mobilité sociale ascendante ou d’intégration d’une minorité non négligeable des enfants d’immigrés algériens (et par extension maghrébins) en France. » L’enquête « Trajectoires et origines » de l’Insee et de l’INED attestait, dès 2016, que 26 % des enfants d’immigrés maghrébins ayant un emploi occupent des professions intermédiaires, de cadre moyen ou supérieur. Il suffit de regarder autour de nous, dans les hôpitaux, les établissements scolaires, les maisons de retraite, à la SNCF, à la RATP, dans les syndicats et dans l’armée.

L’itinéraire des « Belhoumi », par la description des pièges et des obstacles que ses membres ont dû déjouer, ne fait que confirmer, a contrario, les mécanismes familiaux, scolaires et urbains qui conduisent une autre fraction des descendants d’immigrés à l’enfermement dans les cités, la drogue et la délinquance.

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Philippe Bernard

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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