Dans « Tirailleurs », avec Omar Sy : un père et un fils sénégalais à l’épreuve de la Grande Guerre

Dans son nouveau film, Mathieu Vadepied double avec intelligence la question historique sur la violence coloniale d’un drame intime.

Le Monde  – Devant un tel titre, la première pensée du cinéphile de base – vous savez, ce type à l’esprit mal tourné à qui on ne la fait pas – ira à Indigènes, de Rachid Bouchareb, qui avait secoué, en 2006, le Landerneau de la mémoire nationale en rappelant, dans un film spectaculaire et édifiant, l’histoire de quelques soldats, issus des colonies et protectorats d’Afrique du Nord, qui avaient participé, en 1944, à la campagne de libération de la France occupée.

 

 

Bouchareb avait rassemblé à cette occasion le ban du vedettariat issu de l’immigration maghrébine (Debbouze, Zem, Naceri, Bouajila…), pour un exercice délicat, où le devoir de mémoire et la volonté pédagogique alourdissaient un chouïa le barda déjà chargé des personnages.

Ledit cinéphile de base, maniaque affligé d’une certaine morale, se fera toutefois un devoir de découvrir ces Tirailleurs, quitte à reconnaître sans difficulté que ce film – sans nul doute fondé sur les mêmes prérequis historiques et politiques que le précédent – en diffère à maints égards.

L’époque, d’abord : celle de la Grande Guerre, et non moins sacrée boucherie, sur le front des Ardennes. La mémoire d’une autre Afrique ensuite, subsaharienne et noire, notamment incarnée ici par Omar Sy jouant le rôle d’un tirailleur sénégalais.

La personnalité et le style du réalisateur, enfin. Assistant de Raymond Depardon, chef opérateur chez Idrissa Ouedraogo (Samba Traoré, 1992), Jacques Audiard (Sur mes lèvres, 2001) ou Olivier Nakache et Eric Tolédano (Intouchables, 2011), Mathieu Vadepied aura signé pour son premier long-métrage à la réalisation un film de banlieue à contre-courant (La Vie en grand, 2015). C’est une même liberté qu’il s’accorde avec Tirailleurs, subordonnant, sans l’apurer, le cahier des charges inhérent au sujet (le sort des troupes noires dans l’armée française) et au genre (le film de guerre) à un enjeu proprement romanesque.

Du Sénégal au front ardennais

Le film pourrait aussi bien, en effet, à l’instar du roman de Tourgueniev, s’appeler « Père et fils ». En l’espèce, Bakary et Thierno Diallo. Le second (Alassane Diong) est requis de force dans son village du Sénégal pour être aussitôt envoyé sur le front ardennais, cru 1917. Le premier (Omar Sy) s’engage volontairement avec lui pour tenter de le sauver d’une mort sinon assurée, du moins probable (il y eut, durant la Grande Guerre, 200 000 tirailleurs sénégalais incorporés sous les drapeaux, 30 000 y laissèrent leur vie).

Le film a deux faux débuts. Le premier a lieu aux environs de Verdun, dont la terre est comme transformée en ossuaire et où des hommes déterrent de fait les restes d’un cadavre. On pressent qu’on y reviendra. Le second est une sorte de prologue en forme de pastorale sénégalaise, trop bref pour donner une profondeur, voire une authenticité aux personnages principaux qui y apparaissent – Omar Sy en berger peul, après l’enfance à Trappes et le Service après-vente des émissions, c’est quand même beaucoup demander au spectateur. Mais il est suffisant, et c’est sans doute sa fonction véritable, pour montrer la violence de la réquisition française.

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Jacques Mandelbaum

 

 

 

 

 

Source : Le Monde 

 

 

 

 

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