Arbitrage : laisser jouer ou laisser casser ?

L’arbitrage très laxiste lors de la Coupe du monde part d’une bonne intention, mais expose à un retour en arrière problématique.

Le Monde  – La Coupe du monde des surprises en a réservé plusieurs concernant l’arbitrage : le « hors-jeu semi-automatique », qui nous a valu de passer d’une mesure centimétrique à une mesure millimétrique pas moins absurde ; le temps additionnel extra-large, conduisant à établir une sorte de money time, sans résoudre le problème global de la gestion du temps de jeu.

L’évolution la plus déterminante a toutefois été la consigne (là encore émise sans publicité) d’un « laisser jouer » très frappant, qui a eu pour conséquence un faible nombre de cartons rouges (4), très remarqué en regard des gestes qui auraient pu valoir des expulsions.

Le nombre de fautes sifflées est passé de 27,1 par match en Russie à 24,2 au Qatar, et certaines équipes rugueuses, comme l’Argentine et le Maroc, ont été significativement épargnées. Argentine-Pays-Bas, malgré 17 jaunes (deuxième total dans l’histoire de la compétition), n’a connu aucune exclusion.

JOUEURS ET ARBITRES : QUI SONT LES PLUS DURS ?

L’historique du nombre de cartons jaunes et rouges depuis leur adoption lors de la Coupe du monde 1970 [1] livre toutefois des enseignements contre-intuitifs, l’édition 2018 ayant enregistré le même nombre des premiers (4), et un nombre équivalent des seconds (219 contre 222).

En l’occurrence, les chiffres ne sont pas forcément plus indicatifs que le ressenti. Ils dépendent de deux variables interdépendantes dont ils ne révèlent pas les parts : le comportement des joueurs et celui des arbitres. Un nombre élevé de sanctions peut témoigner soit de la dureté des uns, soit de la sévérité des autres.

Le bond enregistré lors du Mondiale italien, particulièrement marqué par les actes d’antijeu et les brutalités, relève de la première explication. La hausse post-1990, elle, résulte logiquement du durcissement des règles et de leur application.

Inversement, la baisse constatée après un millésime 2006 record s’explique probablement par une volonté de plus laisser le jeu se poursuivre. C’est, à tout le moins, le cas pour 2022.

Autre indicateur, le nombre des penalties accordés est en baisse sensible par rapport à 2018 (23 contre 29), mais reste très élevé : deuxième total « brut » de l’histoire, troisième rapporté par match.

On pourrait se féliciter du (légèrement) moindre nombre de VAR-penalties (pour des micro-fautes ou des mains involontaires), mais les non-interventions ou non-sanctions de la part des arbitres vidéo ont exacerbé les frustrations.

LES RISQUES DU LAXISME

Cette politique permissive est encouragée par l’idée consensuelle que des arbitres trop interventionnistes contribuent à hacher le jeu et à lui nuire [2]. Mais cette position simpliste a son revers, constaté au Qatar : des arbitres laxistes finissent par encourager les actes d’antijeu et les brutalités… qui hachent le jeu et lui nuisent.

Elle a sans doute favorisé des Argentins qui n’ont pas craint de recourir à des interventions au-delà de la limite ordinaire (dont un coup de coude dans le plexus d’Hugo Lloris dès l’entame de la finale), et à divers trucages ou provocations commis avec un certain art.

On peut défendre ce football-là, celui des années 1970 et 1980, choisir le premier terme de l’opposition entre « sport de contact » et « sport d’évitement », préférer le vice, qui fait effectivement partie du football, à la vertu, choisir de ne pas particulièrement « protéger les artistes ».

On peut aussi estimer que le tournant pris dans années 1990 a été (vraiment) salutaire et que l’inflexion constatée lors de cette Coupe du monde est inquiétante. Elle ouvre en effet la porte à un retour aussi bien aux petites fautes qui pourrissent le jeu qu’aux grosses qui menacent l’intégrité physique des joueurs.

Cette permissivité a par ailleurs favorisé les polémiques et les incompréhensions habituelles sur les sanctions et non-sanctions dans des situations analogues, sentiments démultipliés quand c’est la VAR qui intervenait ou n’intervenait pas.

Contrairement à 2018, où les controverses (hors VAR) avaient été limitées, et le travail des arbitres salué, 2022 laisse une impression plus délétère. Plusieurs équipes se sont prétendues lésées, à l’image des recours déposés par le Maroc et la France, symptôme de la judiciarisation de l’arbitrage et des aspirations à une impossible « justice ».

UN ÉQUILIBRE DÉLICAT

Le sujet souligne l’ineptie des conceptions binaires de l’arbitrage, et les injonctions contradictoires faites aux arbitres, qui devraient laisser jouer mais « tenir » leur match, être « psychologues » mais appliquer uniformément les règles au nom d’une « harmonisation » chimérique.

Ils ne devraient pas se comporter en « petits chefs » alors qu’ils subissent des protestations permanentes, infantiles et injustifiées. Lors du tournoi (mais cela a-t-il été seulement remarqué ?), la moindre touche a été réclamée, les fautes les plus incontestables contestées.

Au passage, les nombreuses promesses non tenues de la VAR peuvent faire sourire amèrement, aujourd’hui : « Il n’y aura plus de polémiques, « Il n’y aura plus de contestations », « Cela va aider les arbitres », « Les grosses équipes ne seront plus avantagées », etc.

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Source : Le Monde 

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