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Le Monde – L’art contemporain africain dispose d’un nouveau lieu d’exposition à Paris. Passé par les maisons de vente aux enchères Piasa puis Artcurial, Christophe Person vient d’ouvrir sa galerie dans le cœur du Marais, au 39 rue des Blancs-Manteaux, dans le 4e arrondissement.
Quelque 100 m2 pour « montrer le travail des artistes du continent qui traitent des sujets liés à l’identité, au genre, à l’environnement, aux migrations des personnes et des biens, aux relations Nord-Sud… Je veux valoriser ces talents qui créent des œuvres particulièrement pertinentes dans le contexte actuel », souligne le galeriste.
Grâce notamment au soutien financier de Jean Claude Gandur, collectionneur d’art et mécène suisse, Christophe Person a pu réaliser ce projet qu’il mûrit depuis une dizaine d’années, lorsqu’il a quitté le monde la finance pour se former chez Christie’s, à Londres. La Biennale de Venise de 2015, les premières foires 1-54 consacrées à l’art contemporain africain dans la capitale britannique, la dynamique liée à l’installation de nouvelles galeries internationales à Paris et la visibilité croissante donnée aux artistes du continent l’ont encouragé à se lancer.
« Explorer l’intime »
Pour cette première exposition intitulée « Explorer l’intime », deux jeunes artistes camerounais ont été choisis après un voyage de prospection dans le pays effectué par Christophe Person en juillet : Manga Lulu Williams et Wilfried Mbida. Le premier, né en 1994, vit dans la région du Sud-Ouest, l’une des deux zones anglophones en guerre larvée avec Yaoundé depuis 2017. La seconde, née en 1990, est installée à Douala.
Manga Lulu Williams a suivi pendant trois années une formation académique classique à l’Institut des beaux-arts de Foumban (région Ouest), ville considérée par les Camerounais comme la cité des arts, dont il sort diplômé en 2018. Il y étudie la photographie, la psychologie, l’anthropologie et l’histoire de l’art.
Conséquence du conflit, les médecins de l’hôpital lui diagnostiquent des troubles de stress post-traumatique, comme pour de nombreux habitants de la zone : « J’ai été dévasté par les événements, de voir comment les gens s’effondrent à cause du chagrin que leur causent l’arrestation ou la mort de leurs proches. » Il s’engage alors à aller vers eux et souhaite à travers son art « devenir la voix de ceux qui ont le souffle coupé ».
Ses tableaux représentent très souvent un personnage central, frontal et en extérieur. L’artiste souhaite montrer « la résilience de certaines communautés. Malgré la torture, beaucoup de personnes ont décidé de rester sur place ». Sur le tableau All Eyes on us, le personnage porte une doudoune noire, couleur qui pourrait lui coûter la vie à cause de son interdiction décidée par les séparatistes : « Nous avons vécu une période où le simple fait de porter telle ou telle couleur indiquait qui nous étions et pouvait signifier la fin de la vie d’un individu. »
La métaphore d’un jardin préservé
Wilfried Mbida, elle, propose une narration picturale plus apaisée. Diplômée de l’Ecole des beaux-arts de Nkongsamba, à quelque 150 km au nord de Douala, elle obtient ensuite un master 2 en arts plastiques, option peinture. Elle y développe un sens aigu du détail et de la perspective. Sensible au rite funéraire de l’Essani, en pays Beti, d’où est originaire son père, l’artiste s’interroge : « Lorsque le rite se termine, à quoi ressemble la demeure du défunt après son départ vers l’au-delà ? Quel est le ressenti de ces personnes qui ont perdu un être cher ? »
Inspirée notamment par les œuvres du Danois Vilhelm Hammershoi et de l’Américain Edward Hopper, elle souhaite mettre en exergue le calme, le silence et la sérénité des intérieurs. Très attachée à son entourage familial et amical, elle porte un regard bienveillant sur la société qui l’entoure.
Source : Le Monde
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