États-Unis – On croyait le français de Louisiane mort, le voilà qui ressuscite

Slate  – Couramment parlé jusqu’au début du XXe siècle dans cet État américain, le français local a peu à peu disparu, avalé par la langue anglaise. Mais aujourd’hui, il est enseigné à 5.500 enfants et jouit à nouveau d’une certaine popularité.

En visite à La Nouvelle-Orléans ce vendredi 2 décembre, Emmanuel Macron pourra-t-il se faire comprendre en français? Pas par la majorité des habitants, soyons honnête. Mais une jeune garde, qui tente de rallumer la flamme francophone, arrivera à suivre sans sous-titres. Cette jeunesse s’est lancé un défi fou, à l’américaine: relancer la pratique du français, cette langue régionale qui semblait vouée à s’éteindre.

Aujourd’hui, la Louisiane est anglophone, comme l’Alabama voisin. Mais les lois louisianaises étaient encore débattues en français comme en anglais il y a seulement un siècle –même si cela semble difficile à croire. «Du temps de mes grands-parents, 85% des habitants du sud-ouest de l’État parlaient le français», indique le chanteur et poète francophone Zachary Richard.

C’est au XVIIIe siècle que le français est arrivé sur le territoire, par vagues successives, dans la foulée de sa conquête par Louis XIV. Ces terres bordant les bras du géant Mississippi ont d’abord attiré quelques planteurs, appâtés par les fortunes qu’ils pourraient bâtir autour du coton et de la canne à sucre. Dans leur sillage, des esclaves africains ont été embarqués dans les sombres cales de navires.

Des Cadiens ont ensuite trouvé refuge autour du fleuve: ces paysans et pêcheurs, chassés d’Acadie par les Anglais et aguerris par la dureté du nord canadien, sont parvenus à dompter les marécages des bayous, dans le sud de la Louisiane. C’est à leur contact que les tribus autochtones, les Houmas par exemple, ont côtoyé la langue française. Les derniers flots francophones sont enfin arrivés de Saint-Domingue, à la suite de la révolte qui donnera naissance à Haïti (1791-1804), quand des milliers de colons et d’esclaves ont fui les troubles pour rejoindre Cuba ou la Louisiane.

Le français, un patois méprisé

Telle est la couleur de la francophonie louisianaise: une mosaïque de Cadiens exilés, d’esclaves noirs, de colons réfugiés et d’Amérindiens envahis. La Louisiane est le creuset de ces peuples, souvent meurtris, fondus dans un improbable melting-pot, avec le français pour cri de ralliement. Bonaparte n’a pas tenu compte d’eux dans ses calculs géostratégiques: cet immense territoire est vendu en 1803 à Washington. Pourtant, par la vivacité de leur culture, les francophones ont longtemps échappé à l’assimilation. Les Créoles tenaient les villes, les Cadiens les bayous.

 

Une oligarchie anglophone s’est peu à peu hissée à la tête de l’État. Des Anglo-Américains qui n’avaient de cesse de dénigrer ce français, patois des personnes éloignées des cercles du pouvoir. «Parler au banquier se faisait forcément en anglais, comme toutes les choses sérieuses», rappelle Zachary Richard, élevé par des parents francophones qui ne lui parlaient qu’en anglais. Le chanteur a néanmoins pu accéder au français grâce à ses grands-parents, à leurs récits et à leurs chansons.

En 1921, il a été acté que l’enseignement se ferait désormais intégralement en langue anglaise –et que les récalcitrant auraient droit aux coups de règles et humiliations. «Les élèves qui ne savaient pas demander en anglais la permission de se rendre aux toilettes risquaient l’accident», relate Hannah Bergeron, jeune enseignante de français. Souhaitant épargner à leurs enfants ces humiliations, la génération de l’entre-deux-guerres a donc coupé le fil de la transmission de leur langue.

La richesse dans la différence

Avec des locuteurs vieillissants, le français semblait destiné à se figer sur les pierres tombales. Pourtant, contre toute attente, cette langue connaît un étonnant retour en grâce. Le tournant date de 1968. Dans une Amérique du Nord secouée par le souffle de l’égalité des droits, on change de regard sur la différence et les minorités. La Louisiane rétropédale: elle veut soudain sauver son français, devenu moribond. On découvre, bien qu’un peu tard, que cette singularité est une richesse. «Nous disposons d’une culture unique qui nous distingue de la masse anglo-américaine. C’est très attrayant de se sentir unique», insiste Zachary Richard.

À côté du carnaval, du Mardi gras, de la musique cadienne, de la pêche à la crevette ou du gombo, ragoût typique de la région, le français intègre donc officiellement le patrimoine louisianais. Désormais, ses mots s’étalent fièrement sur les plaques de rues. Même les boutiques en recouvrent leur devanture –on peut ainsi faire des emplettes dans le magasin Aux Belles Choses.

 

Une petite musique française plane également à La Nouvelle-Orléans. «À chaque coin de rue, il y a un nouveau joueur d’accordéon qui chante en français, décrit Zachary Richard. Même si, bien souvent, il ne comprend pas les paroles qu’il chante.» Mais alors, assisterait-on à un retour du français? À un vernis francophone, plutôt. «Ce qui est à la mode, ce n’est pas le français, c’est l’apparence du français», nuance l’artiste.

 

Des enseignants venus des quatre coins du monde (francophone)

Car on ne ressuscite pas une langue en changeant les plaques de rues. Ni en réintroduisant quelques heures de cours de français par semaine. Non, le levier décisif est ailleurs. L’État a importé du Canada un système radical qui a fait ses preuves: les classes d’immersion, qui baignent les enfants dès leur plus jeune âge en eaux francophones. Mais où recruter des enseignants parlant français? Il fallait retourner à la source.

 

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Frédéric Pennel — Édité par Natacha Zimmermann

 

 

 

 

 

Source : Slate (France)

 

 

 

 

 

 

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