
Le Monde – Président du Niger depuis avril 2021, Mohamed Bazoum est aujourd’hui l’un des derniers chefs d’Etat au Sahel à ne pas être arrivé au pouvoir par un coup d’Etat. Il est aussi l’un des meilleurs alliés de Paris dans cette région. Il se considère comme soutenu par la France et non soumis à elle dans la lutte contre les djihadistes au Sahel.
Depuis son départ du Mali, l’armée française s’est en partie redéployée au Niger. Comment jugez-vous la collaboration qui s’est mise en place avec vos soldats ?
Mohamed Bazoum Nous menons des opérations à notre frontière avec le Mali qui se passent dans d’excellentes conditions. C’est vrai que nous ne sommes pas dans un contexte de belligérance très forte, mais le service est assuré de façon tout à fait satisfaisante. Des patrouilles sont menées ensemble, avec l’utilisation des moyens des uns et des autres, et, quand nous avons besoin de moyens que nous n’avons pas, en particulier aériens, c’est la France qui nous soutient.
L’efficacité de leur action n’est-elle pas limitée par le fait que vous ne pouvez plus mener des opérations transfrontalières au Mali, où peuvent se replier les djihadistes ?
Oui, bien sûr, mais nous respectons la frontière du Mali. L’idéal aurait été que nous soyons dans des conditions de coopération opérationnelle avec tous nos voisins. C’est ce que nous nous efforçons de faire avec les Burkinabés. Ils ont quelques soucis pour le moment mais, dès qu’ils seront prêts, nous allons reprendre les opérations conjointes. Ce n’est malheureusement pas le cas pour le moment avec le Mali, avec lequel nous n’avons plus de relations militaires.
Ne craignez-vous pas que le redéploiement de l’armée française au Niger exacerbe le sentiment antifrançais qui s’exprime chez vous comme ailleurs dans la région ?
Quand nous éliminons seize terroristes le 11 novembre, en quoi cela pourrait-il provoquer un sentiment contre les Français ? Bien au contraire. Nous avons une petite opinion à Niamey, qui s’exprime par moments mais qui ne mobilise guère les foules. En ce qui concerne le Niger dans son ensemble, je n’ai pas l’impression d’avoir affaire à un sentiment antifrançais d’envergure. Si c’était le cas, j’aurais été bien plus prudent. J’ai été élu, mon parti fait face à des élections tous les cinq ans, et nous ne ferons jamais rien qui soit de nature à nous mettre en porte-à-faux avec notre opinion.
Vous avez annoncé des négociations avec des groupes djihadistes. La présence de l’armée française au Niger n’hypothèque-t-elle pas ces discussions ?
Non, pas du tout. Nous avons la télécommande entre nos mains. Elle n’est pas dans celles de la France. C’est grâce à ces discussions que nous avons une relative accalmie dans les régions d’Abala, de Tillabéri et dans certains endroits proche de la frontière avec le Burkina Faso. Nous sommes dans une dynamique que nous contrôlons.
Une bonne partie de vos voisins, le Mali, le Burkina Faso, le Tchad, sont aujourd’hui dirigés par des militaires. Vous avez échappé à une tentative de coup d’Etat avant votre prestation de serment. Redoutez-vous un effet domino ?
Nous ne le craignons pas, parce que nous avons des situations totalement différentes. La tentative de coup d’Etat au Niger ne pouvait pas se justifier par le fait que nous avons été incapables de faire face à l’insécurité générée par l’existence de groupes terroristes à nos frontières. Les raisons avaient à voir avec l’élection présidentielle. Certains dans l’armée pensaient alors pouvoir usurper le pouvoir par la force, mais je crois que leurs échecs successifs ont fait que, dans notre armée, plus personne ne songe à ce genre d’aventure.
Comment analysez-vous le recul des valeurs démocratiques sur le continent africain ?
Le continent africain n’est pas un isolat. Il y a aujourd’hui un reflux des valeurs démocratiques et une montée en puissance de forces illibérales aux Etats-Unis, en Europe et à une échelle encore plus importante en Afrique. En Afrique, malheureusement, ce phénomène international coïncide aussi, pour certains pays, avec le moment de l’évaluation de l’expérience démocratique, qui a duré à peu près trente années.
Il y a eu tant de régimes incompétents qui se réclamaient de la démocratie. Il y a eu tant de pratiques de mauvaise gouvernance que, dans un contexte international marqué par la montée en puissance des idées non démocratiques, des militaires peuvent vouloir venir prendre le pouvoir impunément et mettre les pays dans des situations d’impasse terrible.
Craignez-vous que la guerre en Ukraine détourne les Occidentaux de la lutte contre les groupes djihadistes au Sahel ?
Je n’ai pas cette crainte, parce que je n’ai pas l’impression, à part la France, que les pays occidentaux mettent beaucoup de moyens dans le combat contre le djihadisme en Afrique.
Source : Le Monde
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