Le « rêve canadien », un mirage pour beaucoup d’étudiants d’Afrique francophone

Le Monde  EnquêteLes taux de refus de permis d’études sont plus élevés au Canada chez les étudiants venus de pays africains francophones, soupçonnés de vouloir s’y installer. Au Québec notamment, obtenir le sésame s’apparente, pour certains, à un parcours du combattant.

 

« Immigration Canada [le service canadien de l’immigration] reconnaît qu’il y a du racisme au Canada ainsi qu’au sein de sa propre organisation. » Dans un document discrètement mis en ligne sur le site du ministère de l’immigration en septembre, qui n’a fait l’objet d’aucune autre communication publique, le ministre canadien de l’immigration, Sean Fraser, « convient qu’il est possible d’en faire plus en ce qui concerne les préjugés raciaux et la discrimination au sein de l’organisation et de ses politiques ». Il admet qu’il y aurait eu « par inadvertance » des taux de refus de permis d’études plus élevés chez les étudiants venus de pays africains francophones, comparés aux demandes d’autres étudiants internationaux. Une « pratique discriminatoire », qui avait été dénoncée dès 2019 par l’Association canadienne des études africaines.

C’est au Québec, seule province francophone du pays, que la situation est la plus alarmante, et les chances d’obtenir le précieux sésame les plus infimes. Car, une fois admis par une université et accepté par les autorités québécoises, deux préalables indispensables, un candidat reste tributaire du service immigration, réfugiés et citoyenneté Canada pour se voir délivrer son permis d’études. Et c’est au niveau de ce service fédéral, souverain en la matière, que la machine se grippe.

A la rentrée 2021 – les chiffres de 2022 ne sont pas encore tous disponibles – le taux de permis refusés aux étudiants provenant d’Algérie, de la République démocratique du Congo, du Togo, du Sénégal ou du Cameroun avoisinait ou dépassait parfois allègrement les 80 %, quand les demandes émanant d’étudiants français par exemple étaient acceptées quasi automatiquement. Une inégalité de traitement qui épargne les anglophones: l’université McGill, à Montréal, qui dispense ses cours en anglais et accueille principalement des étudiants en provenance d’Inde, de Chine ou du Vietnam, ne subissait, elle, que 9 % de refus des demandes instruites.

 

« Aucune explication »

 

A l’université du Québec à Trois-Rivières, une ville moyenne située sur la rive nord du fleuve Saint-Laurent, à mi-chemin entre Montréal et Québec, près d’un tiers des 2 320 étudiants internationaux présents (sur 15 000 au total) viennent de pays d’Afrique francophone, avec qui l’établissement entretient des liens de coopération depuis de longues années. Or, en 2021, le taux de refus des demandes de permis d’études de ces étudiants a atteint 79 %. Directeur des relations internationales de l’université, Sylvain Benoit se désole de la situation : « Nous n’avons aucune explication de la part de l’agence fédérale qui gère les demandes. »

Sur le campus de cette université, qui comprend pavillons de cours, résidences étudiantes et équipements sportifs dans un environnement boisé en surplomb de la ville, Aristide Achie, attablé dehors, savoure les doux rayons du soleil automnal. « Il faut en profiter car l’hiver ici est terrible », explique-t-il, amusé. Cet Ivoirien de 31 ans, arrivé au Québec il y a trois ans, termine son doctorat en économie et finances. Après un premier cycle et deux masters obtenus à Abidjan et à Bordeaux, c’est sur la recommandation d’un ami qu’il trouve à Trois-Rivières un laboratoire et un directeur de thèse prêts à l’accueillir.

Le certificat d’acceptation du Québec délivré, il se voit poser par Immigration Canada quelques conditions financières draconiennes : un oncle ingénieur géomètre doit se porter garant d’une somme de 12 000 dollars (soit la même somme en euros) par année de scolarité, en plus des frais d’inscription dont Aristide Achie doit s’acquitter : 3 000 dollars en tant que doctorant en lieu et place des 10 000 réclamés pour les premiers cycles. Mais l’étudiant doit surtout convaincre les autorités canadiennes qu’une fois son diplôme obtenu il a la ferme intention de rentrer chez lui. « C’est assez frustrant, on vous accueille en vous faisant promettre de ne pas rester. Ce qui est assez incohérent puisque, depuis que je suis ici, je ne cesse d’entendre parler de pénurie de main-d’œuvre. »

Fiacre (son prénom a été changé à sa demande), un étudiant sénégalais croisé lui aussi sur le campus, raconte avoir adressé une « lettre de vingt pages au service d’immigration canadien, en promettant de reprendre l’entreprise paternelle à Dakar dès la fin de [s]es études » pour être accepté. Mais certains de ses amis, témoigne-t-il, ont dû renoncer à leur rêve.

 

« Deux poids, deux mesures »

 

Pour les étudiants des pays du Maghreb et pour ceux de la côte ouest de l’Afrique, obtenir un permis d’études pour le Canada s’apparente au parcours du combattant. « Les dossiers que je reçois émanent souvent d’étudiants issus de milieux très favorisés, il n’est pas donné à tout le monde de répondre aux exigences financières réclamées par le Canada », explique Krishna Gagné, avocate spécialisée en immigration. Malgré des dossiers « solides », dit-elle, et « des plans de retour détaillés fournis par les candidats », les refus sont légion. Souvent, le même argument est opposé aux demandeurs, « l’agent [d’Immigration Canada] n’est pas convaincu que le candidat quittera le pays à l’issue de ses études ». « Il y a des préjugés contre l’Afrique que l’on ne retrouve pas vis-à-vis d’autres pays à qui on ne demande pas autant de garanties », affirme Me Gagné.

« C’est de la discrimination pure et simple, comment appeler cela autrement ? », s’emporte le député Alexis Brunelle-Duceppe, porte-parole sur l’immigration du Bloc québécois (parti fédéral indépendantiste). Pour expliquer les « biais discriminatoires » dont les Africains font les frais, le député insiste sur la lecture erronée que les agents chargés d’examiner les demandes de permis d’études font de la loi canadienne sur l’immigration et la protection des réfugiés. « La peur de voir un étudiant s’établir au Canada après ses études est avancée comme cause de refus, explique-t-il, alors même que l’article 22 de la loi prévoit que ce même étudiant a tout à fait le droit de demander une résidence permanente. »

En avril 2021, dans le but de relancer une activité économique affectée par la pandémie de Covid-19, le gouvernement canadien annonçait d’ailleurs l’octroi exceptionnel de 40 000 cartes de résident permanent aux étudiants déjà installés sur le territoire canadien. « Restez ici », leur lançait le ministre de l’immigration de l’époque.

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Source : Le Monde  

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