Rishi Sunak Premier ministre : un symbole de la diversité du Parti conservateur britannique ?

Slate – La trajectoire du premier locataire de Downing Street d’origine indienne correspond à celle d’une nouvelle génération politique issue de l’immigration, mais aussi aisée financièrement et bien connectée.

 

Pour de nombreux Britanniques d’origine sud-asiatique –et particulièrement indienne–, la nomination de Rishi Sunak (Parti conservateur) au poste de Premier ministre, après la démission de Liz Truss, est une occasion de se réjouir. La trajectoire de cet homme, premier locataire de Downing Street d’origine indienne, comme le souligne le quotidien anglophone indien Hindustan Times, correspond à celle d’une nouvelle génération politique issue de l’immigration, mais aussi aisée financièrement et bien connectée.

Rishi Sunak est issu d’une famille aisée, originaire de la communauté indienne jadis installée au Kenya. Il est par ailleurs l’époux d’Akshata Murthy, fille du fondateur d’Infosys, géant indien des technologies dont la valeur est aujourd’hui estimée à 100 milliards de dollars.

Aux postes clés de l’éphémère gouvernement Truss, on ne trouvait déjà aucun homme blanc: Kwasi Kwarteng, originaire du Ghana, avait récupéré le ministère de l’Économie et des Finances, les Affaires étrangères avaient été confiées à James Cleverly, d’origine sierra-léonaise, et l’Intérieur à Suella Braverman, d’origine indienne et mauricienne.

Ces personnalités ne ressemblent donc guère à la majorité des quelque 160.000 adhérents du Parti conservateur, dont la base militante est essentiellement blanche, masculine et issue de la classe moyenne. Le parti serait-il devenu le nouveau symbole de la diversité?

Rien n’est moins sûr. Derrière cette vitrine, qui permet au parti d’afficher l’image d’une modernité représentative de la société britannique (14% de la population est issue des minorités ethniques, d’après le recensement de 2011), transparaît une classe politique beaucoup plus uniforme qu’il n’y paraît, unie par des convictions similaires et un profil socio-démographique homogène.

 

«Less stale, pale and male»

 

Depuis plusieurs années, les élections législatives sont l’occasion de voir émerger une nouvelle classe politique plus jeune, plus féminine et avec plus de diversité –ou, pour reprendre la formule anglaise consacrée, «moins mûre, moins pâle et moins masculine»less stale, pale and male»).

Aux élections législatives de 2015, 41 députés (sur un total de 650) dits «BAME», pour Black and Asian Minority Ethnic, ont fait leur entrée au Parlement, dont 23 conservateurs; en 2017, ils étaient 52, dont 19 conservateurs; et depuis les dernières élections de décembre 2019, qui ont permis au parti de Boris Johnson de remporter une forte majorité, ils sont 65, dont 22 conservateurs.

 

Au sein des Tories, ce résultat est le fruit d’un dispositif mis en place en 2006 par le dirigeant du parti d’alors, David Cameron, baptisé la «A-list» et favorisant les candidatures parlementaires de femmes et de personnes issues de minorités ethniques dans des circonscriptions acquises aux conservateurs. Liz Truss elle-même avait bénéficié de ce dispositif. Mais qui sont aujourd’hui vraiment ces élus conservateurs d’origine immigrée?

Parler d’immigration, sans pouvoir être taxé de xénophobie

 

Sur le plan idéologique, ils présentent un profil assez homogène: la majorité d’entre eux a défendu le Brexit avec passion et affiche des positions ultra-libérales sur les questions économiques et sociales. Une étude que j’ai réalisée auprès des nouveaux élus de 2015 montrait que les minorités ethniques étaient surreprésentées parmi les «Brexiters» du parti.

Sur un total de 17 députés issus de l’immigration, 11 avaient fait campagne en faveur du retrait du pays de l’Union européenne (UE), soit 64,7%, alors que sur l’ensemble du groupe parlementaire (330), ils n’étaient que 144 (43,6%). Mais cette proportion était encore plus forte chez les nouveaux élus conservateurs issus de l’immigration: sur les 7 députés concernés, 5 avaient fait campagne pour le Leave, soit 71,4%.

 

Plusieurs explications pouvaient être avancées, notamment leur sélection par le parti dans des circonscriptions notoirement favorables au Brexit… ou leurs origines. On peut en effet comprendre l’intérêt accru de ces députés, originaires pour la plupart des pays du Commonwealth, pour une diplomatie du «grand large» et non limitée à l’UE.

Très critiques, par ailleurs, du principe de libre circulation qui aurait favorisé une immigration est-européenne au détriment de l’immigration historique issue notamment de l’Inde, du Pakistan et du Bangladesh, ces députés ont souvent été de fervents défenseurs d’une «Global Britain» post-impériale, hyperglobale, ouverte au reste du monde mais surtout aux anciennes colonies et dominions de l’Empire britannique comme l’Inde ou l’Australie.

Dans ce contexte précis, la politique inclusive mise en œuvre par le parti conservateur pour sélectionner ses futurs députés s’est avérée particulièrement efficace, la diversité apparaissant comme une stratégie judicieuse permettant à ces députés de parler sans complexe d’immigration et de Brexit, sans craindre d’être taxé de xénophobie.

Une tendance néothatchérienne

 

Autre point de convergence idéologique entre ces élus: une conception libertarienne qui plaide pour un désengagement massif de l’État. En 2012, Kwasi Kwarteng, ex-chancelier de l’Échiquier démis de ses fonctions le 14 octobre, et Priti Patel, l’ancienne ministre de l’Intérieur (2019-2022), avaient cosigné avec Liz Truss et d’autres collègues un pamphlet intitulé Britannia Unchained: Global Lessons for Growth and Prosperity, qui préconisait une libéralisation complète de l’économie britannique, l’extension de zones franches et déréglementées, une fiscalité minimale, et dénonçait l’oisiveté des salariés britanniques.

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Agnès Alexandre-Collier

Source : Slate (Le 25 octobre 2022)

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