En Inde, la curieuse croisade anticoloniale de Narendra Modi

Afin d’affirmer la suprématie des hindous, le premier ministre indien œuvre pour « éliminer toute trace de l’esprit colonial » des institutions ou de l’architecture de son pays. Certains y voient une tentative des nationalistes de réécrire l’histoire.

Le Monde – Depuis le 1er octobre, les fonctionnaires et les institutions financées par le gouvernement du Maharashtra ont interdiction d’utiliser le mot « hello » pour saluer un interlocuteur lorsqu’ils reçoivent un appel téléphonique. Le terme est considéré par les autorités comme « une imitation de la culture occidentale ». Ils devront désormais dire « Vande Mataram », qui signifie, a précisé le ministre des affaires culturelles de l’Etat, Sudhir Mungantiwar, « je m’incline devant notre mère ».

 

Cet Etat de l’ouest de l’Inde, dont la capitale est Bombay, est dirigé par un élu zélé, placé il y a quelques semaines par le Bharatiya Janata Party, la formation au pouvoir en Inde. Eknath Shinde, un nationaliste hindou, a décidé de suivre au pied de la lettre le nouveau mot d’ordre du premier ministre indien, Narendra Modi, qui, à l’occasion du 75e anniversaire de l’indépendance du pays, le 15 août, a invité les Indiens à « éliminer toute trace de l’esprit colonial ».

Depuis son accession au pouvoir, en 2014, Narendra Modi n’a eu de cesse d’effacer un triple héritage, celui de l’Empire moghol, qui étendit à partir de 1526 l’influence musulmane dans le sous-continent, celui de l’Empire britannique, qui lui succéda et régna sur l’Inde de 1757 à 1947, et celui de Jawaharlal Nehru, le premier ministre de l’indépendance. Les ouvrages scolaires d’histoire ont été réécrits en ce sens, les villes, les rues, les monuments rebaptisés.

Narendra Modi a entrepris, à coups de milliards d’euros, de remodeler l’architecture de New Delhi, entièrement façonnée par les Britanniques dans les années 1920, lorsque ces derniers décidèrent de transférer la capitale de l’empire de Calcutta à Delhi. Le Rajpath, symbole de l’ère coloniale, dessiné par l’architecte Lutyens a été remanié et renommé. L’« allée de l’Empire », majestueuse avenue qui s’étend sur trois kilomètres, de l’ancien palais du vice-roi des Indes à l’India Gate, l’arc de triomphe dédié aux victimes de la première guerre mondiale, s’appelle désormais « Kartavya Path », ou « chemin du devoir. »

Tourner le dos aux valeurs de l’indépendance

 

A l’occasion de son inauguration, quelques heures seulement avant le décès de la reine Elisabeth II, le 8 septembre, Narendra Modi a livré un discours très anticolonial, arguant que le « Rajpath », symbole du colonialisme, était synonyme « d’esclavage » pour les Indiens. « Aujourd’hui, son architecture et son esprit ont été modifiés. Lorsque les ministres et les officiers passeront par cette route, cela leur rappellera leur kartavya », a-t-il assuré.

Peu avant, le premier ministre indien avait décidé de remplacer la croix de Saint-Georges sur le drapeau de la marine indienne par un étendard inspiré du sceau du souverain marathe du XVIIe siècle Chhatrapati Shivaji.

Le Premier ministre indien Narendra Modi dévoile une statue de Subhash Chandra Bose sur l’avenue Central Vista à New Delhi (Inde), le 8 septembre 2022.

 

Sa croisade contre le passé colonial, fondé sur le sentiment d’humiliation des Indiens durant la période de domination britannique, entre dans une logique et une politique identitaire beaucoup plus vastes. Celles d’une Inde affirmant la suprématie des hindous, parlant une langue commune, l’hindi, et tournant le dos aux valeurs de l’indépendance : le sécularisme, l’unité dans la diversité. Pour l’anthropologue Arjun Appadurai, le paradoxe de Modi est qu’il incarne, en réservant aux minorités un statut inférieur, une réminiscence du colonialisme. Les minorités religieuses ne seraient pas mieux traitées sous Modi que ne l’étaient les Indiens sous les Britanniques.

 

Les contempteurs du premier ministre soulignent une nouvelle tentative des nationalistes de réécrire ou de se réapproprier l’histoire car, contrairement au Congrès et à ses deux puissantes figures aux avant-postes de la lutte anticoloniale, Nehru et Gandhi, la famille nationaliste hindoue dont est issu Modi n’a jamais été un acteur majeur du mouvement pour l’indépendance, mais était restée fidèle à la Couronne britannique.

 

« Un outil puissant utilisé par les autorités pour criminaliser la dissidence »

 

Ils relèvent enfin que le droit d’inventaire revendiqué par Modi reste sélectif. Le gouvernement indien continue d’utiliser, et même d’ « abuser », selon la Cour suprême, de la loi sur la sédition, pur héritage colonial, contre les opposants, étudiants, journalistes, écrivains, universitaires. Cette loi, introduite en 1870 par les Britanniques pour museler les combattants indiens pour la liberté, dont le Mahatma Gandhi, érige en infraction pénale le fait de « susciter ou de tenter de susciter la haine ou le mépris à l’égard du gouvernement, ou d’exciter la désaffection à son égard ». La sédition est passible d’une peine allant jusqu’à la perpétuité.

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Source : Le Monde  

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