Le Calame : Vous avez décidé de quitter l’AJD/MR dont vous étiez le porte-parole. Pouvez-vous nous donnez les raisons de cette rupture ?
Cire Kane: J’étais Secrétaire National à la Communication et porte-parole effectif après la démission du titulaire. Après la fronde consécutive au putsch du général Aziz, j’avais été désigné Président du mouvement des jeunes. Quand j’ai quitté APP après le soutien par Messoud Ould Boulkheir au candidat des militaires (Sidioca, NDLR), j’avais rejoint sans hésitation notre ancien député AC Ibrahima Moctar Sarr, ces électeurs qui l’avaient crédité de 8% des voix en mars 2007 voulaient un parti pour poursuivre cette belle aventure.
Ma lettre de démission de l’AJD/MR en date du 6 décembre 2014 était motivée par ma réinstallation à l’étranger. J’estimais que l’absence du pays coupait de certaines réalités locales et que je ne pouvais plus communiquer au nom du parti.
Je suis sorti de ma retraite politique le 16 novembre 2020 en publiant un article intitulé « Mauritanie : partition ou guerre ? « , il fallait partitionner le pays pour éviter la guerre, un nouveau génocide ou une aliénation à coup sûr avec cette arabisation forcée. Un planning sur 10 ans proposait un référendum d’autodétermination des autochtones en deux temps (noirs non arabes, puis haratines), une autonomie administrative et financière des régions et une solution à deux Etats séparés si la fédération échouait.
Beaucoup d’indépendantistes ont adhéré aux propositions de ce document publié en trois parties et le 28 novembre 2021, à l’occasion du deuil de l’indépendance, a été fondé MAÏS, Mouvement des Autochtones pour l’Indépendance du Sud. TÉKROUR, nom du pays, a été arrêté le 25 mai par le comité de pilotage. Cet empire fondé au début du 8ème siècle représente la diversité des peuples et un bon vivre ensemble dans une relative stabilité. Y vivaient sérères, soninkés, peuls, wolofs, bambaras, amazigh (Berbères)
Le Calame – Le gouvernement mauritanien a fait adopter un projet de loi portant réforme du système éducatif. A votre avis,ce texte est-il de nature à renforcer l’unité nationale du pays?
Quelle unité nationale ? Le pays est éclaté depuis les événements de 1966 causés par l’imposition de l’arabe aux autochtones. Le bilan officiel avait minimisé le nombre de morts mais un événement peu banal allait révéler l’ampleur de la tragédie.
Jean-François Deniau, l’ambassadeur de France, pays allié, estimera ce bilan très en deçà de la réalité et traitera le Président Mokhtar Ould Daddah de raciste. Il sera rappelé à Paris dare-dare. C’était les premiers troubles majeurs, pour ne pas dire guerre civile, enregistrés post indépendance, avec plusieurs morts causés par une réforme du système éducatif. Il faut donc éviter de jouer avec ce feu là car l’école est le creuset de la nation, la détruire, c’est détruire la nation et son unité. La junte nous divise en politisant et ethnicisant l’éducation nationale pour se maintenir au pouvoir en faisant oublier son bilan catastrophique depuis 1978.
La loi de réforme du système éducatif, votée en juillet, n’est pourtant qu’une application du préambule de la constitution qui officialise uniquement la langue arabe et ne reconnaît même pas l’identité des autochtones. Donc, si on est logique, c’est l’officialisation des langues maternelles, vieille exigence citoyenne, qu’il faut continuer à réclamer. OLAN l’a bien compris et nous saluons le courage de tous les acteurs restés mobilisés malgré la sévérité de la répression policière. Le général Ghazouani ne doit pas signer le décret d’application de cette loi scélérate qui va creuser un peu plus le fossé entre arabes et autochtones.
MAÏS est pour l’officialisation du hassaniya pour lutter contre l’échec scolaire particulièrement élevé chez les autochtones haratines. L’argument que c’est un dialecte qui traduit la volonté politique de maintenir presque la moitié de notre population dans l’ignorance. La reconnaissance du Hassaniya comme langue été proposée dans un projet de constitution de 1962, ce qui prouve que l’idée n’est pas saugrenue.
Le Calame – Il y a plus de dix mois que le président Kane Hamidou Baba est rappelé à Dieu. Pouvez-vous nous dire ce qui est fait pour pérenniser son œuvre?
Je dois beaucoup à mon oncle Hamidou Baba KANE. Il a étoffé mon français et était mon modèle lors de sa fulgurante ascension au sein de l’opposition naissante au Colonel Taya, je voulais lui ressembler, mais n’est pas Hamidou qui veut. Il aimait profondément ce pays auquel il a donné sa vie. Il est mort dans l’exercice de cette mission. Paradis éternel et quiétude de son âme.
Comment pérenniser son œuvre ? Pour l’instant, je ne suis pas au courant d’une quelconque initiative. HBK avait essayé, avec d’autres acteurs comme Ibrahima Sarr, Ahmed Hamza, Boubacar Messoud…de créer une fondation pour le Pr Saïdou Kane, mais les ressources humaines et financières avaient fait défaut, à tel point que l’édition posthume du livre du professeur avait posé problème. C’est une leçon à retenir.
Cette fois, avec l’aide de Peya Guèye et des amis de HBK, nous trouverons peut-être une formule plus adaptée pour vulgariser ses travaux et contributions pour refonder la Mauritanie, rassembler les mauritaniens. Mais c’est aussi à son pays d’immortaliser ce grand savant multidimensionnel. Par exemple en donnant son nom à un lieu du savoir comme l’école Nationale du Journalisme et de Magistrature, pour honorer l’expert en journalisme, communication et sciences politiques. Et si on rebaptisait le festival des villes anciennes ou la route d’Ajoujt ? Oui, les possibilités de reconnaissance sont infinies.
Je remercie le Général Ghazouani, avec qui il avait tissé une relation de confiance, pour toutes les facilités offertes pour ses funérailles. Gageons que le président de la République saura trouver le meilleur geste pour rendre inoubliable les réalisations du Président HBK.
Comme le recommande l’Islam, HBK était très discret sur ses actions de bienfaisance. Il avait créé la Miskin Bank de micro-crédit aux pauvres et sa maison ne désemplissait pas de nécessiteux, pas forcément du MPR. Qu’Allah rétribue sa bonté et que son héritage soit un modèle pour les justes et les pieux.
Le Calame – Il présidait le MPR et la CVE. Ont-ils réussi à survivre à sa disparition ?
HBK et moi travaillions parfois ensemble, j’administrais son blog politique et j’ai même été responsable de sa communication parlementaire de 2005 à 2007 et il est le premier homme politique mauritanien à disposer d’un blog. Tout cela dans la plus grande discrétion car nous n’avions jamais milité au sein de la même formation politique, il y a donc d’autres personnes plus habilitées que moi pour répondre à cette question sur le MPR et la CVE.
Je rappelle juste à vos lecteurs que l’âge d’or de la vie politique intense de HBK c’était avec Ahmed Ould Daddah (1991-2008). Il était pressenti comme Premier-ministre en cas de victoire d’AOD contre Sidi Ould Cheikh Abdallahi. Son ami Ould Lemattle talonnait et, à l’époque, cela faisait les choux gras des Nouakchottois.
Et il y eut le MPR en 2009, puis la CVE en 2019 où il réussit à être le candidat unique d’une opposition dont le réservoir de voix est dans la vallée et la capitale.
En tant que vice-président de l’assemblée nationale, par sa capacité de travail, il était devenu l’homme de confiance de Messoud Ould Boulkheir. Il a conduit la réforme de son administration, restructuré ses ressources, amélioré la communication parlementaire,…
Le Calame – L’enterrement du président Kane a vu la participation des mauritaniens de toutes les couleurs, de toutes les obédiences politiques. Est-ce à dire qu’il symbolisait l’unité nationale du pays?
Exactement. Des anciens m’ont dit qu’ils n’avaient jamais vu un enterrement rassembler un public aussi nombreux et arc-en-ciel. J’ai suivi ses funérailles en direct, toute la Mauritanie était représentée.
On peut juste regretter que ce rassemblement ait attendu sa mort pour se manifester. Cette mobilisation aurait été fort utile en 2014 quand la junte avait retiré au MPR son récépissé pour score faible aux municipales. Il aurait aimé cette mobilisation quand la CVE marchait sur la Ceni pour protester contre le vol des élections. Et, par-dessus tout, une foule aussi compacte au moment de la crise au sein de la CVE aurait raisonné tout le monde et on aurait évité cette dispersion des forces.
Pourquoi les hommes exceptionnels ne font l’unanimité qu’une fois sous terre? C’est peut-être à ce moment-là seulement qu’on se rend compte qu’ils avaient raison et que plus personne ne va porter cette voix unique de la refondation.
Le témoignage d’Ahmed Ould Daddah m’a beaucoup ému. Il a même réussi à nous faire rire. Que la politique est mauvaise, de si vieux bons amis ne se retrouvent qu’avec la mort, la meilleure conseillère. La dernière fois que j’ai vu AOD, dont j’étais le chef de service presse et internet à l’institution de l’opposition démocratique, c’était en 2012 à Kiffa. On s’était serrés très fort dans les bras comme si c’était pour la dernière fois. Qu’Allah lui accorde une longue vie, il a vraiment fait ce qu’il pouvait pour le retour à un pouvoir civil.
On peut le dire aujourd’hui, le RFD est le parti, par son centrisme, où beidhanes, haratines et kwars cohabitaient en harmonie. C’est en grande partie grâce à l’esprit rassembleur de HBK dont les initiales évoquent Haratines-Beidhanes-Kwars. J’avais écrit un article à ce propos, environ 4 mois avant son décès. L’écrit, » quel est le secret de HBK » avait surpris le défunt et sonne aujourd’hui comme une oraison funèbre.
Le Calame – Vous êtes de la diaspora mauritanienne. Que pensez-vous des efforts entrepris par le gouvernement pour trouver une solution au Passif humanitaire ?
« Passif humanitaire » ? Ces mots ne sont jamais juxtaposés en français. C’est peut-être « Action humanitaire » que la junte voulait dire, mais leur passivité et leur manque d’humanisme politique a peut-être fait opter pour cette expression bizarre dont l’objectif est de nier le GÉNOCIDE CONTRE LES PEULS DE MAURITANIE.
Les victimes évoquent en premier le devoir de vérité. Eh bien il commence par bien qualifier les faits selon les standards internationaux. Et ce qui s’est passé de 1989 à 1991 coche à tous les alinéas de l’article II de la convention de 1948, y compris la stérilisation des peuls confirmée la semaine dernière par l’avocat maure Sidi El Moctar.
Je suis en ce moment à l’étranger mais j’ai lutté à l’intérieur du pays pendant plusieurs années et acquis une expertise sur les crimes de sang et les déportations. J’ai fait plusieurs séjours dans les camps de réfugiés, et sur les deux rives. Aujourd’hui, même à des milliers de kilomètres, je suis en contact régulier avec eux.
Jusqu’à preuve du contraire, je crois en la bonne foi du président Ghazouani de résoudre ce drame qui envenime l’unité nationale mais il est prisonnier des méthodes de son prédécesseur.
Il gagnerait à écarter le droit islamique et les oulémas dont la plupart n’ont jamais dénoncé les graves violations de droits humains durant les années de braise. Ils ne refont surface que pour cautionner la junte en balayant la justice qui serait porteuse de fitna. La cartographie des sépultures des tués avait été actée avec le général Aziz, ce sont les oulémas qui ont rétropédalé pour non-conformité avec l’Islam. En résumé, la junte rameute ses oulémas pour se servir de l’Islam comme bouclier anti justice.
Ce qui montre la justesse de l’analyse du mouvement MAÏS : les deux principaux maux de la Mauritanie sont l’instrumentalisation de l’Islam pour ‘’esclavagiser’’ et dominer éternellement les noirs et le nationalisme arabe.
Sinon, depuis quand en Islam on paie une diya deux fois ? La diya est la réparation versée à la famille du tué. Mais celui-ci a le droit de la refuser et d’exiger la peine de mort. On voit bien qu’ils mélangent, comme ça les arrange, la charia et le droit moderne. C’est parce que les criminels de la junte font toujours peur à l’armée et certains rescapés sont traumatisés à vie ou intimidés. Voilà pourquoi on tourne en rond
La junte devrait cesser de faire voler en éclats les organisations des victimes par des réponses purement matérielles qui oublient que ce drame a impacté toute la nation. Outre le devoir de réparation, il y a les devoirs de vérité, de justice et de mémoire. Mais le plus important, rappelé récemment par certaines veuves, ce sont les garanties de non-répétition. MAÏS n’a pas été créé pour avoir un nouveau mouvement, mais par conviction qu’il y aura un autre génocide vu les armes des milices arabes soutenues par la junte. On veut une frontière de sécurité entre les tékrouriens et ceux qui ne les aiment pas.
Le Calame – Quelle évaluation vous faites de la lutte contre la gabegie et du dossier dit de la décennie ?
Quand la lutte contre la gabegie porte ses fruits, les plus belles dattes sont redistribuées beurrées dans la communauté des gabégistes. Ceux qui ne sont pas membres de cette communauté ne se sentent nullement concernés par ce jeu du voleur frère du policier. On a bien vu qu’ils trouvaient toujours un arrangement entre parents. Le dossier de la décennie suivra la même logique, comme le dossier des 60 ans d’indépendance. Et à quand le dossier du rapt des enfants du Tékrour par les Beni Hassan depuis 1356?
Propos recueillis par Dalay Lam