Mobilisation de 300 000 réservistes, chantage nucléaire : la fuite en avant de Vladimir Poutine

Le président russe, qui assure qu’il « soutiendra » une annexion des territoires occupés d’Ukraine, met également en avant la menace de l’arme nucléaire.

 Le Monde  – Huit mois après son déclenchement, le mythe de la simple « opération militaire spéciale » en Ukraine a vécu. Sans toutefois prononcer le mot de « guerre », Vladimir Poutine a franchi un cap majeur, mercredi 21 septembre, en décrétant la mobilisation des citoyens pour le front ukrainien, où les forces russes sont bousculées depuis plusieurs semaines. « L’oukaze est signé, le processus débute aujourd’hui », a indiqué le président dans une rare adresse télévisée à son peuple, dans laquelle il a agité à nouveau la menace nucléaire.

Cette mobilisation n’est que « partielle », a insisté le président russe, conscient du caractère politiquement explosif d’une telle mesure. Cet appel ne concerne que les réservistes, « ceux qui ont déjà servi et ont une expérience pertinente », a-t-il précisé. Quelques minutes plus tard, le ministre de la défense, Sergueï Choïgou, donnait un chiffre précis : 300 000 citoyens, âgés de 65 ans pour les plus vieux, seront appelés sous les drapeaux.

 

Ce changement de cap avait par ailleurs été préparé en amont avec l’adoption par la Douma, lundi 19 septembre, d’une loi évoquant pour la première fois une « mobilisation » et prévoyant des peines de prison (trois ans) pour les réservistes refusant de répondre à une convocation de l’armée. Après avoir répété pendant des mois que l’« opération spéciale » en Ukraine se déroulait « selon les plans », M. Poutine n’a pas admis le moindre échec militaire. Il a seulement insisté sur l’implication de l’Ouest dans le conflit : « Sur une ligne de front de plus de 1 000 kilomètres, notre armée n’affronte pas seulement les formations néonazies, mais l’ensemble de la machine de guerre de l’Occident collectif », a souligné le président russe, détaillant les déploiements d’armes et d’hommes.

Le but de l’Occident resterait de « détruire » la Russie, comme le martèle Vladimir Poutine depuis plusieurs années. Selon lui, « Londres, Washington, Bruxelles poussent Kiev à porter les opérations militaires sur le territoire de la Russie », et avaient avant même le début du conflit l’ambition d’attaquer la Russie. Comme pour appuyer ces assertions, M. Choïgou a ensuite, pour la première fois depuis le mois de mars, donné un bilan des tués au sein des forces armées : leur nombre s’élèverait à 5 937, un chiffre qui reste toutefois inférieur aux nécrologies et annonces publiques disponibles en source ouverte. Le nombre des tués dans l’armée ukrainienne dépasserait les 60 000.

Sérieux aveu d’échec

Immédiatement après ces annonces, plusieurs gouverneurs ont annoncé mettre en place des structures chargées de mener à bien la mobilisation. L’oukaze signé par M. Poutine est de fait assez flou, et ordonne à chaque région de remplir les quotas fixés par le ministère de la défense. In fine, l’objectif est de renflouer les rangs de l’infanterie, le manque de personnel étant l’une des explications de la déroute subie par l’armée russe dans la région de Kharkiv début septembre.

Cette escalade annoncée sur le terrain militaire n’est qu’un des aspects de la tentative du Kremlin de reprendre l’initiative après ces déconvenues. Lundi, les autorités prorusses des régions de Louhansk, Donetsk, Zaporijia et Kherson, occupées par Moscou, ont annoncé tour à tour la tenue de référendums devant conduire au rattachement à la Fédération de Russie. Ces consultations, annoncées dans l’urgence, doivent se dérouler du 23 au 27 septembre, soit dans un délai plus court encore que pour le référendum d’annexion de la Crimée, en mars 2014.

 

« Le peuple du Donbass, qui souffre depuis longtemps, mérite de faire partie de ce grand pays qu’il a toujours considéré comme sa patrie », a écrit sur Telegram le dirigeant de la « république populaire de Donetsk », Denis Pouchiline. Les dirigeants des territoires tenus par Moscou ont ensuite fait des déclarations similaires, sans expliquer la nécessité d’une telle hâte. Signe supplémentaire d’impréparation, les autorités de Donetsk ont d’abord évoqué un scrutin électronique, avant de faire machine arrière. Aucun mot n’a évidemment été dit de la participation des millions de citoyens ukrainiens obligés de fuir ces territoires, notamment ces derniers mois. La commission électorale russe a en revanche fait savoir qu’elle installerait des bureaux de vote en Russie pour les Ukrainiens qui y sont réfugiés.

Dans son adresse de mercredi, Vladimir Poutine a sans surprise promis de soutenir l’initiative, promettant de « garantir la sécurité » de ce vote et surtout de « soutenir la décision qui sera prise ». Malgré les cris de joie des commentateurs loyaux au Kremlin, il y a là un sérieux aveu d’échec : annoncés de longue date, ces référendums d’annexion n’étaient censés se tenir que sur des territoires intégralement « libérés ». Or l’armée russe n’a pas même été capable de conquérir la totalité de la région de Donetsk, objectif pourtant prioritaire de « l’opération spéciale » en Ukraine, entraînant des reports à répétition de la consultation.

Désormais, c’est même le recul des forces russes qui dicte le tempo. Lundi, la « chambre civile » de la « république populaire de Louhansk » a été la première à appeler à l’organisation d’une consultation en urgence. Coïncidence : ce même jour, les troupes ukrainiennes reprenaient pour la première fois depuis le printemps une localité de ce territoire, Bilohorivka.

« Ce n’est pas du bluff »

De la même façon, une annexion ne stoppera pas l’offensive ukrainienne en cours sur plusieurs fronts, ainsi que Kiev l’a déjà fait savoir. Quant au crédit accordé à l’étranger à ces consultations, il sera encore inférieur aux simulacres organisés en 2014 en Crimée (rattachement à la Russie) et dans le Donbass (indépendance vis-à-vis de l’Ukraine).

 

Pour autant, l’annonce de ces référendums n’a rien d’anecdotique. Leur résultat attendu – l’annexion de ces territoires par la Russie – est à mettre en lien avec la promesse renouvelée mercredi par M. Poutine de « défendre l’intégrité territoriale de la Russie ». Corollaire de cette escalade sans précédent : la relance du chantage nucléaire, exercé par Moscou au début du conflit et qui avait été un temps mise de côté. En clair, Moscou pourra présenter comme légitime l’usage de l’arme nucléaire pour défendre ces portions nouvelles de son territoire attaquées par l’Ukraine avec le soutien des Occidentaux.

Mercredi, Vladimir Poutine a longuement insisté sur ce point. Après avoir assuré que « certains représentants haut placés des Etats de l’OTAN évoquent la possibilité d’utiliser des armes de destruction massive, des armes nucléaires, contre la Russie », il a prévenu : « Lorsque l’intégrité territoriale de notre pays est menacée, nous utilisons certainement tous les moyens à notre disposition pour protéger la Russie et notre peuple. Ce n’est pas du bluff. Ceux qui essaient de nous faire chanter avec des armes nucléaires doivent savoir que le vent peut tourner dans leur direction. »

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Source : Le Monde 

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