Le rocambolesque embrouillamini du Kenya sur le Sahara occidental

Le ministère des affaires étrangères à Nairobi a désavoué la position du nouveau président William Ruto favorable aux thèses marocaines sur le dossier sahraoui.

Le Monde  – L’imbroglio diplomatique fait quelque peu désordre. Une reconnaissance de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) retirée puis rétablie par le Kenya, le président nouvellement élu à Nairobi désavoué par son propre ministère des affaires étrangères, le Maroc dépité après avoir jubilé, l’Algérie jubilant après avoir été dépitée… Au carrefour de l’âpre rivalité algéro-marocaine sur le continent africain et des querelles internes au pouvoir kényan, la dernière poussée de fièvre diplomatique autour du Sahara occidental aura pris une tournure rocambolesque inédite.

Le premier épisode du feuilleton a pris la forme d’un tweet diffusé par le nouveau président kényan William Ruto le 14 septembre, soit le lendemain même de son investiture à Nairobi. Le vainqueur de l’élection présidentielle du 5 août, cinquième chef d’Etat depuis l’indépendance de 1963, annonçait sa décision d’« annuler la reconnaissance [par le Kenya] de la RASD » et, par voie de conséquence, de « réduire la présence de [cette] entité dans le pays ».

 

La presse marocaine applaudit instantanément. « Pour les séparatistes et leurs sponsors, le revers est sévère », se félicite Le 360, site proche du palais. Ironie de l’histoire, Brahim Ghali, chef du Font Polisario – le parti luttant pour l’indépendance du Sahara occidental – et président de la RASD, était présent à la cérémonie d’investiture du président Ruto.

Puis est venu l’épisode du rétropédalage : trois heures à peine après la diffusion du tweet, les passages de ce dernier relatifs au Sahara occidental et la RASD étaient effacés. Que fallait-il y comprendre ? Que le président Ruto se rétractait ? Le quotidien kényan Nation titre alors sur une possible « gaffe » du président dès le « jour + 1 ». La clarification viendra le 16 septembre – elle fuitera dans la presse le 19 septembre – sous la forme d’une lettre du secrétaire général du ministère des affaires étrangères adressée aux directions administratives et représentations du Kenya à l’étranger.

La position historique pro-Polisario du Kenya

La missive rappelle que le Kenya s’en tient à la décision de 1982 de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) – devenue depuis l’Union africaine (UA) – d’admettre la RASD comme « membre », un statut qui revient à lui reconnaître la qualité d’Etat souverain. Or c’était précisément cet acte de reconnaissance qui avait motivé la mise en retrait du Maroc de l’organisation africaine, qu’il a réintégrée trente-cinq ans plus tard en 2017.

Le document du ministère précise en outre que le Kenya s’inscrit toujours dans la résolution de 1991 du Conseil de sécurité de l’ONU appelant à la tenue d’un référendum d’autodétermination sur le territoire du Sahara occidental, consultation que le Maroc n’a jamais souhaité organiser. En somme, le ministère des affaires étrangères réitère la position historique pro-Polisario du Kenya, désavouant ainsi sèchement le tout nouveau président qui s’apprêtait à accomplir un aggiornamento diplomatique.

Et la lettre ministérielle de décocher cette banderille à l’adresse de M. Ruto : « Le Kenya ne mène pas sa politique étrangère sur Twitter ou toute autre plateforme de médias sociaux. » Changement de climat : c’est au tour de la presse algérienne de se gausser des « déconvenues diplomatiques » de Rabat, selon la formule du quotidien L’Expression proche du régime d’Alger. Au Maroc, le site Le 360 fustige « les basses manœuvres de l’Algérie pour polluer la décision historique du Kenya ».

Mais avant d’être le produit de la lutte d’influence à laquelle se livrent le Maroc et l’Algérie en Afrique, l’embrouillamini diplomatique kényan autour du Sahara occidental est d’abord l’expression de failles internes. « Il y a à l’évidence des luttes d’influence au sein de l’appareil étatique kényan, souligne Paul Simon Handy, expert au centre de réflexion Institute for Security Studies (ISS). La ligne de fracture sépare la présidence et le ministère des affaires étrangères, et au sein même de ce dernier. »

Un certain tropisme marocain du président Ruto

Ce n’est pas la première fois que M. Ruto est impliqué dans une controverse au sujet du Sahara occidental. En avril, alors vice-président, il avait dû démentir les propos publics de l’ambassadeur marocain en poste à Nairobi qui lui avait prêté un soutien au « plan d’autonomie [du Sahara occidental] sous souveraineté marocaine », projet que M. Ruto aurait qualifié devant le diplomate de « meilleur solution à la question du Sahara ». Vrai ou faux, ces propos révèlent néanmoins un certain tropisme marocain du nouveau président kényan.

Le magazine marocain en ligne Le Desk annonçait ainsi dès avril que le Maroc s’employait à « jouer la carte du numéro deux kenyan Ruto ». « A travers ce rapprochement, la diplomatie marocaine espère avoir verrouillé un soutien de taille à l’avenir, compte tenu du poids de Nairobi à l’Union africaine », écrivait alors Le Desk.

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Frédéric Bobin

Source : Le Monde

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