
La Libre.be – Dans le nord de l’Éthiopie, la guerre fait rage depuis la fin 2020. Elle implique d’un côté une triple alliance entre l’armée fédérale éthiopienne, les forces spéciales de la région Amhara, et l’armée de l’état voisin l’Érythrée ; et de l’autre la région du Tigré qui se trouve entourée par les territoires des premiers.
e façon assez inattendue pour les observateurs, il y a un an, fin juin 2021, les forces tigréennes qui s’étaient constituées en mouvement de guérilla prenaient le dessus et entraient dans la capitale régionale Makallè. Depuis cette date, le Tigré enclavé a été soumis à un blocus féroce : ni communications terrestres, ni télécommunications, ni soins médicaux, ni électricité. L’aide humanitaire internationale se négocie au coup par coup. Les statistiques sont rares, d’après nos calculs, le nombre de civils décédés oscillerait entre un quart et un demi-million.
En juin, malgré l’embargo imposé par les autorités éthiopiennes, des journalistes internationaux déterminés ont enfin pu atteindre le Tigré, à pied et en suivant des sentiers de montagne rocailleux. Le 2 juillet, Arte TV a diffusé leur film documentaire : « Tigré : au pays de la faim ». Le massacre d’Axoum perpétré par des soldats érythréens… Des gens meurent simplement à la maison parce qu’ils savent que le personnel de l’hôpital ne peut pas les aider… Un garçon d’onze ans, huit kilos…
Le Premier ministre éthiopien Abiy Ahmed s’est vanté que c’est le gouvernement éthiopien qui a le dernier mot quant à l’envoi d’aide au Tigré ou non. En 2021, l’organe de presse officiel de la région Amhara voisine s’est prononcé en faveur d’un blocus sévère du Tigré et propose l’avenir de cette région « comme celle du Biafra », cette région du Nigéria affamée par un blocus fin des années 1960. Mi-2022, leurs plans génocidaires sont en cours au Tigré et António Guterres, Secrétaire général des Nations unies, détourne le regard et simule la naïveté.
Massacres et famine des Tigréens
Dans une annonce tape-à-l’œil sur les réseaux sociaux le 29 juin 2022, les Nations Unies s’étaient toutefois vantées que depuis le 1er avril, le Programme alimentaire mondial (PAM) avait livré suffisamment de nourriture au Tigré pour nourrir 5,9 millions de personnes par mois – une mauvaise reformulation du tweet de @WFPLogistics : « Le PAM a livré suffisamment de nourriture pour nourrir 5,9 millions de personnes pendant un mois. »
L’annonce fournit ensuite un lien hypertexte vers leur propre note d’information du PAM en Éthiopie, qui indique : « Dans la région du Tigré, le PAM a fourni une aide alimentaire à 461 542 personnes en mai », ce qui est loin des 5,9 millions annoncés !
Et le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, dans son rapport de situation (17 juin) de préciser : « cumulativement, entre début avril et le 8 juin, plus de 20 000 tonnes de nourriture ont été distribuées à plus de 1,2 million de personnes dans la région ».
La réalité est que d’avril à juin 2022, le PAM a transporté suffisamment de nourriture au Tigré pour nourrir 5,9 millions de personnes pendant seulement un mois (sur trois). Mais, par manque de carburant, seulement 1,4 million d’habitants du Tigré (25 %) ont été atteints. Seulement 15 % du carburant nécessaire et 35 % de l’argent nécessaire aux opérations humanitaires ont été autorisés à entrer au Tigré par les autorités éthiopiennes.
Commentaires d’un membre du personnel de l’Onu : « Il serait plus judicieux de rendre compte de l’impact que du nombre de camions qui ont réussi à passer ».
« Transformons le Tigré en un nouveau Biafra »
Pourtant, les Nations unies, au plus haut niveau, affichent des annonces jubilatoires, plutôt que de dire la vérité qu’elles sont empêchées de tendre la main à la population affamée du Tigré.
Le 23 juin 2021, dans une interview télévisée, Abiy Ahmed avait annoncé la couleur, en mentionnant que dans les années 1980, le dictateur Mengistu Hailemariam avait commis une grosse erreur en autorisant l’acheminement de l’aide au Tigré.
Après que les forces du Tigré eurent repris le contrôle d’environ 70 % du territoire de leur région, le 30 juillet 2021, l’Amhara Media Corporation (média d’État) a publié un article appelant à transformer le Tigré en un autre Biafra, « en lui coupant le souffle de toutes parts ».
Le 4 août 2021, Mitiku Kassa, le commissaire éthiopien de la gestion des catastrophes, a fait une déclaration publique pour interdire les routes entre le Soudan et la région du Tigré à l’aide humanitaire. Le 22 août 2021, le même Mitiku Kassa a déclaré que la politique éthiopienne consiste à restreindre fortement l’aide au Tigré par crainte qu’une telle aide ne renforce l’armée du Tigré – pour preuve, il a produit une photo d’un colonel tigréen qui se serait rendu, côte à côte avec des photos de biscuits énergétiques de l’USAID.
Jan Nyssen
professeur à l’Université de Gand (Département de géographie)
Source : La Libre.be (Belgique)
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