Au Burkina Faso, l’humour révolté et « musicalisé » de Moussa Petit Sergent

Humoristes africains (3/7). Avec son groupe, Les Séparables, le trentenaire n’épargne personne… pas même la junte au pouvoir depuis le coup d’Etat de janvier.

 Le Monde – Peignoir de combat sur le dos, poings fermés, Moussa Petit Sergent se lance sur une scène transformée en immense ring de boxe dans le quartier de Ouaga 2000, à Ouagadougou. « Les Séparables ! », annonce le speaker sur les riffs d’une guitare électrique. « Pendant que les politiques dorment, les Séparables restent éveillés ! », clame le jeune Burkinabé aux côtés d’Amidou Ledoux et Pat Davis, les deux autres comédiens du groupe, en cette soirée de début juin.

La défaite en demi-finale de l’équipe nationale de football à la Coupe d’Afrique des nations, la cupidité de l’Eglise, l’hypocrisie des politiques ou encore l’impuissance de l’armée face aux attaques terroristes… Personne n’est épargné. Le trio enchaîne les vannes et fait le show en rappant et en dansant. Depuis la sortie de leur première vidéo sur Internet en 2021, les Séparables ont composé une trentaine de chansons satiriques en moré, la langue nationale au Burkina Faso. Leur page Facebook compte déjà près de 100 000 abonnés. Leur tête d’affiche, Moussa Petit Sergent, 32 ans, est l’un des premiers humoristes professionnels du pays et une source d’inspiration pour sa génération.

 

« Avant, les faux types étaient en costard, maintenant ils portent un treillis », balance le trio en référence aux militaires arrivés au pouvoir à la suite d’un coup d’Etat, fin janvier. Des errements politiques à la violence des groupes djihadistes, en passant par la crise humanitaire qui sévit dans le pays, les Séparables osent parler de tout, « sans tabou ». Jonglant entre paraboles, jeux de mots et satire, ils vont jusqu’à parodier la déclaration des putschistes du Mouvement patriotique pour la sauvegarde et la restauration (MPSR), le nom de la junte burkinabée, à la télévision nationale.

« Le mouvement MPSR, Moussa Petit Sergent Reste au pouvoir ! », tonne Moussa Petit Sergent à côté de ses camarades mutins, munis de lance-pierres. Impertinents mais « pas irrespectueux », insistent-ils. « On dilue des sujets graves dans les vannes et la musique pour que ça passe, on a souvent des discussions houleuses pour trouver le juste milieu », explique Moussa Ouedraogo – son vrai nom –, pour qui le rire est un « outil d’éducation populaire » et permet de « former un regard critique » sur le monde.

« Tirer la sonnette d’alarme »

L’idée de ce trio d’« humour musicalisé » est née lors du dernier spectacle de Moussa Petit Sergent, en 2021. Pendant les répétitions, il se lie d’amitié avec Amidou Bataillon, alias Amidou Ledoux, pianiste et grand amateur de blagues. Les deux camarades commencent par improviser des sketchs sur scène, avant de se filmer dans les « six-mètres », les ruelles en terre de la capitale, pour dénoncer les tares de la société et les difficultés du quotidien.

Un drame va les faire changer de tonalité. En novembre 2021, l’attaque d’un détachement militaire à Inata (nord) fait au moins 57 morts. Les gendarmes n’avaient pas été relevés ni ravitaillés depuis deux semaines. Moussa Petit Sergent est « révolté ». « On ne pouvait pas rester silencieux, il y avait urgence à tirer la sonnette d’alarme. On dit des choses que même les organisations de la société civile n’osent pas dénoncer. C’est la force de l’humour », pointe-t-il, regrettant « la démission des artistes » engagés pendant l’insurrection populaire d’octobre 2014 qui avait entraîné la chute du régime de Blaise Compaoré après vingt-sept ans au pouvoir.

Ses textes dénoncent l’impuissance de l’ancien président Roch Marc Christian Kaboré à endiguer les violences. « Chef, vous tenez le pays comme un cigare, il se consume petit à petit et la fumée ne vous dérange pas », tacle Moussa Petit Sergent dans une chanson.

 

Au Burkina Faso, où près de 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, le rire a aussi des vertus cathartiques. « Ouaga c’est la galère ! » chante sur scène le trio, interrompu pendant son show par… plusieurs coupures d’électricité. Moussa Ouedraogo, qui a longtemps vécu à Nonsin, un quartier difficile de la capitale, s’inspire de son vécu et utilise l’autodérision. Il raconte ses problèmes à l’école, ses déboires avec les filles ou les quiproquos culturels avec sa belle-famille belge.

Il puise aussi dans l’héritage de la « parenté à plaisanterie », un art de la raillerie ouest-africain qui agit comme un instrument de décrispation et de cohésion sociale. « Il parle de nos galères, ça nous fait du bien d’en rire. Il nous redonne un peu de joie, on en a besoin ici », glisse Bienvenue, un spectateur de 19 ans qui a découvert Moussa Petit Sergent sur Facebook.

Repéré par Mamane

Avant de devenir une célébrité nationale, ce fils d’un guérisseur et d’une ménagère a dû se battre. Il fait ses premiers pas sur les planches à 9 ans puis est sélectionné pour incarner le personnage principal de la série burkinabée « Petit Sergent », dont il gardera le nom de scène. Médiocre à l’école, où il préfère jouer le clown, il décide d’arrêter ses études après son brevet pour se consacrer à sa passion. Mais son oncle, qui imaginait pour lui une carrière de fonctionnaire, le met à la porte de la maison familiale.

« A l’époque, il n’y avait pas de modèle de réussite, personne ne pensait que faire rire pouvait devenir un métier », explique l’autodidacte, qui s’est formé avec des vidéos de ses idoles, Jamel Debbouze et Gad Elmaleh, et a commencé à se mettre en scène avec un ami lors des anniversaires et des mariages. Le jeune comique est finalement repéré sur scène par Mamane, le célèbre humoriste nigérien, qui décide de le prendre sous son aile. Très vite, Moussa Petit Sergent multiplie les festivals dans la sous-région et, en 2016, il remporte le prix RFI Talent du rire.

 

Après avoir découvert le Comedy Club à Paris, il décide de fonder le Collectif des architectes du rire (CAR), premier espace dédié à l’humour au Burkina Faso, pour former et promouvoir les artistes de son pays. « Avant, il n’y avait pas de cachet pour nous, cet art n’était pas reconnu, on était juste invité pour amuser la galerie en première partie des autres artistes », rapporte celui qui est devenu, en 2016, le premier humoriste à se produire en solo dans le pays. L’année suivante, il a présenté le tout premier one man show burkinabé avec son spectacle « Complètement décalé ».

Depuis, le CAR, soutenu par le Montreux Comedy Festival, en Suisse, compte une quarantaine d’humoristes, dont dix femmes formées par Moussa Petit Sergent. Ce dernier a aussi initié « Rire en fête », en 2019, un festival décalé qui rassemble des artistes venant de pays d’Afrique et d’Europe.

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Source : Le Monde (Le 13 juillet 2022)

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