Au Sri lanka, après la fuite du président, la peur du chaos

Dans la capitale, Colombo, des foules de manifestants ont pris d’assaut la résidence et le secrétariat du président Gotabaya Rajapaksa, le forçant à fuir. Sous la pression de la rue, l’homme fort du Sri Lanka et son premier ministre, Ranil Wickremesinghe, ont promis de démissionner.

Le Monde  – Les Sri Lankais retiennent leur souffle. Dans quoi leur pays, où les pénuries rendent la vie impossible, va-t-il basculer à présent ? Si le président Gotabaya Rajapaksa a annoncé samedi 10 juillet qu’il quitterait le pouvoir quatre jours plus tard, mercredi et que le premier ministre, Ranil Wickremesinghe, a proposé d’en faire de même, aucun des deux hommes n’a encore officiellement démissionné. Plus tôt dans la journée, M. Rajapaksa avait été forcé de fuir sa résidence à Colombo, la capitale, envahie par la foule.

Après des mois de contestation, la nouvelle avait un parfum de victoire mais les manifestants restent sur leurs gardes. « Je suis très fière de ce que le peuple sri lankais a accompli mais l’heure n’est pas encore aux célébrations, nos dirigeants pourraient revenir sur leur promesse », tempère Hiranya Cooray, une trentenaire de Colombo, jointe par téléphone. Samedi, elle a parcouru 10 kilomètres à pied pour participer à la manifestation organisée dans la capitale sri lankaise.

« Pourquoi attendre le 13 juillet pour démissionner ?  », s’interroge également Yohan Perera, un consultant en ressources humaines qui a lui aussi défilé dans les rues de la capitale samedi. « Je pense qu’ils essaient de gagner du temps et qu’ils préparent quelque chose », avance-t-il, affirmant que les manifestations se poursuivront jusqu’à ce que le premier ministre et le président quittent leur fonction et qu’un nouveau gouvernement soit mis en place.

 

Crise économique et financière majeure

 

Nombre de citoyens continuent d’occuper la résidence et le secrétariat du président ainsi que la résidence du premier ministre, incendiée la veille. Les plus téméraires assurent qu’ils resteront jusqu’à la démission effective du président. Certains sont déjà partis durant la nuit, à pied ou tentant de faire de l’auto-stop en raison de la pénurie de carburant qui frappe l’île. D’autres attendent de pouvoir monter à bord des rares bus et trains qui circulent dans le pays afin de rentrer chez eux, après la journée spectaculaire de samedi.

Le Sri Lanka traverse une crise économique et financière majeure et manque de tout. Poussées à bout par des mois de privations, samedi, des dizaines de milliers de Sri Lankais ont afflué à Colombo, pour participer à une journée de mobilisation présentée comme décisive. Ils sont arrivés en bus, en train, à bicyclette ou encore à pied, déterminés à se rendre dans la capitale pour demander, comme ils le font depuis des mois, la démission du président Gotabaya Rajapaksa. A la mi-journée, les manifestants ont forcé les barricades de police et fait irruption dans le palais, puis dans le bureau du président et dans la résidence officielle du premier ministre.

 

Le président Gotabaya a dû prendre la fuite et a été placé dans un lieu sûr sous protection de l’armée. Son frère Mahinda Rajapaksa avait fait de même après avoir démissionné au mois de mai. Le puissant clan Rajapaksa, qui domine la vie politique sri lankaise depuis des décennies, avait fait son retour à la tête du pays en 2019 et s’était arrogé une grande partie des pouvoirs

 

Un spectacle à la fois potache et dramatique

 

 

A Colombo, tout au long de l’après-midi, samedi, des citoyens ordinaires ont donné à voir un spectacle inédit, à la fois potache et dramatique. Sur les réseaux sociaux, les manifestants ont diffusé des vidéos sur lesquelles on les voit déambulant, avec curiosité, l’air amusé, dans la demeure du président. Certains piquaient des têtes dans sa piscine, d’autres se prenaient en photo tout sourire, se prélassant sur un lit à baldaquin. Sur l’une des nombreuses vidéos qui circulent, on voit un jeune homme dépliant un caleçon et dire, hilare : « C’est la chambre de Gotabaya, voici les sous-vêtements qu’il a laissés ».

 

 

Dans les cuisines du palais, les Sri Lankais, qui vivent depuis des mois dans la sévérité des pénuries, se sont mis à préparer à manger. « Nous manquons de nourriture et le gouvernement n’a pas trouvé mieux que de nous demander de faire pousser nos propres légumes, alors que le président, lui, mangeait comme un roi durant tout ce temps », s’emporte Hiranya Cooray. Les Nations unies estiment que 80 % de la population saute des repas pour faire face au manque de denrées alimentaires et à la flambée des prix.

Le premier ministre Ranil Wickremesinghe, nommé le 12 mai dernier, avait tenté d’ouvrir la voie à un gouvernement d’union nationale, samedi, en convoquant une réunion de crise du gouvernement avec les partis d’opposition et en proposant sa démission. Mais cela n’a pas suffi à calmer la colère des manifestants qui, en son absence, ont mis le feu à sa résidence, sans faire de blessés.

 

Une série de décisions politiques calamiteuses

 

« Je ne vois pas de sortie de crise si le président et le premier ministre ne démissionnent pas », juge Vijitha Herath, un parlementaire du National People’s Power (NPP), un parti d’opposition. « Le président Rajapaksa doit honorer son engagement et démissionner si l’on veut résoudre la crise politique qui empêche tout progrès dans la résolution de la crise économique », ajoute-t-il.

Depuis des mois, le Sri Lanka s’enfonce dans la spirale de la crise. Les attentats de Pâques, en 2019 (au moins 156 personnes tuées notamment dans des églises et dans des hôtels de luxe), et la pandémie de coronavirus ont frappé de plein fouet l’industrie du tourisme, privant le pays d’une importante source de devises étrangères. Le naufrage a été précipité par une série de décisions politiques calamiteuses. En décembre 2019, le gouvernement a procédé à une forte baisse des impôts (perte d’un tiers des contribuables), privant l’Etat de rentrées d’argent considérables.

En avril 2021, sous couvert d’une transition vers une agriculture 100 % biologique, il a brutalement interdit l’importation d’intrants chimiques, entraînant des baisses de rendement catastrophiques. Sous la présidence de Mahinda Rajapaksa de 2005 à 2015, le Sri Lanka avait contracté d’importants emprunts auprès de la Chine pour des investissements contestés, contribuant à l’endettement du pays.

 

Une opposition « extrêmement divisée »

 

Incapable de rembourser sa dette extérieure publique de 35 milliards de dollars, le gouvernement s’est déclaré en défaut de paiement au mois d’avril 2022. Mais le pays a continué de sombrer. Au mois de juin, l’inflation des denrées alimentaires a dépassé les 80 % en glissement annuel. Le pays négocie un plan de sauvetage avec le Fonds monétaire international (FMI).

Le premier ministre Ranil Wickremesinghe avait jugé, au début du mois de juillet, que le pays n’était pas près de sortir de la crise. « Nous devrons faire face à des difficultés en 2023 également », avait-il déclaré. S’il veut conclure un accord avec le FMI, le Sri Lanka, en faillite, doit soumettre un plan de viabilité de sa dette avant le mois d’août. Le FMI a fait savoir dans un communiqué qu’il prévoyait de poursuivre les discussions techniques avec le ministère des finances et la Banque centrale. « Quel que soit le gouvernement en place, le Sri Lanka se trouve en position de faiblesse absolue pour négocier un accord avec le FMI », se désole d’avance Jayadeva Uyangoda, politologue sri lankais.

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Carole Dieterich

Source : Le Monde 

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