En Israël, l’obsession du drapeau palestinien

Début juin, le Parlement israélien a voté en première lecture un projet de loi visant à interdire la bannière palestinienne dans les institutions financées par l’Etat, dont les universités.

Le Monde  – Le 13 mai, la police israélienne à Jérusalem a violemment attaqué le convoi funéraire de la journaliste d’Al-Jazira Shireen Abu Akleh, faisant presque tomber son cercueil, pour confisquer un maximum de drapeaux palestiniens dans la foule. Les forces de l’ordre sont allées jusqu’à briser la vitre du véhicule qui transportait la dépouille afin d’en retirer un.

Ces dernières semaines, ce symbole national palestinien crispe Israël, où il n’est pourtant pas officiellement interdit. Des vidéos ont ainsi circulé, montrant des colons israéliens, en plein jour, parfois escortés par l’armée, décrochant des drapeaux palestiniens au bord d’une route vers Naplouse, en Cisjordanie occupée, pourtant censée être sous autorité palestinienne.

 

La Knesset, le Parlement israélien, s’en est même mêlée : le 1er juin, 63 députés sur 120 ont voté en première lecture un projet de loi visant à interdire « les drapeaux d’un Etat ennemi ou de l’Autorité palestinienne » dans les institutions financées par Israël.

Lors d’un débat houleux, l’auteur du texte, le député du Likoud Eli Cohen, a lancé à ceux qui s’y opposaient – une dizaine de parlementaires, en majorité arabes : « Allez à Gaza ou en Jordanie ! » Il reste encore trois lectures pour que le projet soit définitivement adopté et, entre-temps, la coalition au pouvoir vient de tomber.

« Vu comme une menace »

Peu probable donc qu’une loi voie le jour rapidement ; mais, sur le terrain, c’est comme si elle était déjà appliquée. Le jour du vote, en guise de protestation, une organisation avait suspendu deux immenses drapeaux, l’un palestinien, l’autre israélien, sur un immeuble à Ramat Gan, près de Tel-Aviv, pour prôner le vivre-ensemble. Le premier a été retiré quelques heures plus tard, après des pressions de la police et de la municipalité.

Le drapeau au triangle rouge sur trois bandes noire, blanche et verte a longtemps été banni en Israël et dans les territoires occupés, symbole d’aspirations nationales que niait l’Etat hébreu. Ceux qui osaient le hisser étaient arrêtés et jetés en prison. « Israël, historiquement, a tenté d’effacer l’identité palestinienne, note Fadi Quran, directeur de campagne au sein de l’ONG Avaaz. Le drapeau palestinien a été utilisé comme un prétexte pour supprimer la présence palestinienne à Jérusalem et ailleurs. »

Pendant la première Intifada (1987-1993), les Palestiniens résistent en portant des vêtements ou en suspendant des lessives aux couleurs nationales. La pastèque, dont les tons rappellent le drapeau, devient un emblème exposé partout.

 

En 1994, dans la foulée des accords d’Oslo, l’interdiction est levée ; le drapeau est désormais celui de l’Autorité palestinienne, partenaire de paix. En 2003, la Cour suprême israélienne a même autorisé qu’il figure sur des affiches électorales de partis arabes israéliens, au nom de la liberté d’expression.

Mais, sur le terrain, les policiers se gardent le droit de l’interdire, sous le prétexte du « maintien de l’ordre public ». A Jérusalem, aujourd’hui, il est ainsi quasi impossible de le brandir sans voir la police débarquer immédiatement. Ces dernières années, « avec la montée de l’extrême droite israélienne, le drapeau est vu comme une menace, souligne Fadi Quran. A Jérusalem, cela a commencé en 2017, lors des manifestations contre l’installation de portiques électroniques à l’entrée de l’esplanade des Mosquées. (…) Ce n’est pas qu’il n’y avait pas de problèmes avant cela. Mais Israël s’en prenait aux manifestations en tant que manifestations, pas pour confisquer les drapeaux palestiniens. »

Profondes tensions en Israël

Rachel Beitarie, directrice de l’organisation israélienne Zochrot, qui travaille à la reconnaissance de la Nakba, l’exode forcé de plus de 700 000 Palestiniens qui a marqué la naissance de l’Etat hébreu en 1948, fustige « des politiques rétrogrades ». Enfant, cette Israélienne de 47 ans voyait les conscrits de son voisinage rapporter à la maison des drapeaux palestiniens confisqués dans les territoires occupés pendant leur service. « Et nous voilà de retour au même stade, des décennies plus tard », soupire-t-elle. En parallèle, les drapeaux israéliens sont pavoisés partout.

Cette récente guerre des drapeaux est aussi le symptôme des profondes tensions en Israël, qui sont apparues au grand jour en mai 2021, quand de violentes émeutes ont enflammé les villes judéo-arabes du pays. « Le mur de la peur est tombé, et les jeunes expriment avec plus d’aisance leur identité palestinienne, constate Youssef Taha, étudiant de 27 ans en sciences sociales à l’université de Tel-Aviv. Israël nous a constamment mis sous pression pour ne pas qu’on s’exprime, qu’on affiche notre identité ou qu’on partage la lutte de notre peuple. Avec cette loi sur le drapeau, Israël reconnaît qu’il a échoué. »

 

Mi-mai, dans plusieurs universités du pays, des étudiants ont commémoré la Nakba. Rien d’inhabituel, rappelle Youssef Taha, si ce n’est que cette année, les drapeaux palestiniens étaient particulièrement nombreux. A Tel-Aviv, la police a arrêté trois étudiants arabes. A l’université de Ben-Gourion, dans le sud du pays, la manifestation a été soutenue par la direction de l’établissement, au nom de la liberté d’expression.

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Source : Le Monde 

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