Football : plus de la moitié des clubs de Ligue 1 battront pavillon étranger la saison prochaine

Amorcée au début des années 2010, la vague de rachats de clubs français par des fonds d’investissement et des milliardaires étrangers s’accentue, suscitant espoirs et inquiétudes.

Le Monde – Une page se tourne. Avec la vente de l’Olympique lyonnais (OL) à l’homme d’affaires américain John Textor, une époque du football français tend à disparaître. Celle où les propriétaires de clubs s’incarnaient dans des patrons d’entreprises locales, fortes personnalités qui trouvaient dans ce sport une exposition médiatique que leurs activités n’auraient pu leur procurer.

A Lyon, Jean-Michel Aulas présidait l’OL depuis 1987. S’il ne passe pas totalement la main – il devrait rester président trois ans –, son « pas de côté » illustre ce qu’est devenu le football ces dernières années : une industrie mondialisée et financiarisée. Avec pour conséquence l’accélération des reprises de clubs.

 

En Europe, cela a été sensible à partir du printemps 2020, en pleine pandémie, comme le notait l’Union européenne des associations de football (UEFA) dans son dernier rapport annuel, publié en février. L’instance soulignait la part prépondérante des investisseurs américains, et désignait la France comme le pays où ces rachats ont été les plus nombreux.

Outre l’OL, le SCO d’Angers est aussi en passe d’être vendu à un fonds d’investissement américain. Et une vente de Saint-Etienne est annoncée par ses propriétaires actuels, Bernard Caïazzo et Roland Romeyer. La saison prochaine, plus de la moitié des clubs de Ligue 1, le championnat élite, battront pavillon étranger.

« Ticket d’entrée » modique

Le mouvement, amorcé au début des années 2010 avec le PSG et l’AS Monaco, s’est accentué avant la double crise Covid-Mediapro. En août 2019, le directeur général de la Ligue de football professionnel (LFP), Didier Quillot, évoquait un « momentum d’investissement ». L’optimisme était alors de rigueur, avec la forte hausse des droits de diffusion télévisuelle 2020-2024 du championnat, acquis par Mediapro.

La défaillance du groupe audiovisuel espagnol et l’épidémie de Covid ont jeté un froid, le président de la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), Jean-Marc Mickeler, annonçant, en 2021, que « le pire [était] à venir » pour des clubs « financièrement exsangues ».

Mais aujourd’hui, le président de la LFP, Vincent Labrune, veut croire à « un véritable nouveau départ », comme il l’a déclaré aux Echos, le 6 mai. En particulier grâce à la création d’une société commerciale dont le fonds luxembourgeois CVC Capital Partners a pris 13 % des parts. L’accord permet d’injecter immédiatement 1,5 milliard d’euros dans les comptes des clubs professionnels.

 

La Ligue, qui n’a pas souhaité commenter la vague de rachats, s’en tient à la saluer comme une « bonne nouvelle qui atteste l’attractivité de la Ligue 1 ». Cela ne suffit pas à expliquer l’intérêt des fonds d’investissement et milliardaires étrangers. La modicité du ticket d’entrée y contribue en premier lieu : « La valorisation des clubs français, PSG et OL mis à part, est très inférieure à celle des clubs des grands championnats européens », estime Bastien Drut, économiste et auteur de Mercato, l’économie du football au XXIe siècle.

« Pour les fonds d’investissement, ce sont des actifs relativement abordables, dans une fourchette de 50 à 100 millions d’euros, avec des perspectives de valorisation paradoxalement issues de la situation délicate du football français », confirme Christophe Lepetit, économiste au Centre de droit et d’économie du sport.

Droits de diffusion et plus-values de transferts

Voué au cinquième rang du « Big 5 » des championnats européens, derrière l’Angleterre, l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie, le football français conserve cependant des atouts. « Les clubs sont modérément endettés et affichent une relative bonne santé financière, avec des perspectives de rebond des droits de diffusion, qui seront bientôt négociés pour la période 2024-2028 », poursuit Christophe Lepetit.

Autres indicateurs positifs selon lui : « Les investissements prévus par l’accord avec CVC sont fléchés vers des actions de structuration et de renforcement des clubs et d’amélioration de la qualité générale du produit. » En outre, « le football français peut raisonnablement espérer une reprise de l’activité des transferts et donc une hausse des plus-values de cession de joueurs ».

Faut-il craindre que l’intérêt des investisseurs pour la prolifique formation française vise d’abord à spéculer sur la valeur des effectifs ? « Certains fonds cherchent des profits au travers du “trading de joueurs”. Or, la volatilité de l’effectif crée une très grande volatilité des résultats, comme on l’a vu avec Monaco ou Lille », avertit Bastien Drut.

La recherche de rentabilité financière, rendue incertaine par l’aléa sportif, n’est toutefois pas le modèle le plus répandu. « La logique première des fonds est celle de l’achat-revente dans des délais de trois à cinq ans », avance Christophe Lepetit, suivi par Bastien Drut : « Ils peuvent acheter un club déficitaire en s’efforçant de le maintenir sur le plan sportif, et en espérant une plus-value à la revente supérieure aux pertes d’exploitation. »

Les bénéfices peuvent aussi être indirects, souligne le premier : « Un club donne un accès instantané à tous les écosystèmes économiques et politiques d’un territoire. C’est une excellente plate-forme de communication et de relations publiques pour accéder aux marchés locaux, avoir connaissance des projets immobiliers ou de rénovation urbaine, nouer des alliances, etc. »

Quelle place dans les conglomérats de clubs ?

Le risque majeur est celui de stratégies à court terme peu compatibles avec l’élaboration de politiques sportives durables si elles excluent de véritables investissements dans l’effectif et les infrastructures. De ce point de vue, les fonds souverains, à l’image de Qatar Sports Investments avec le PSG, développent des approches plus durables, moins déterminées par des mobiles économiques.

Une autre crainte réside dans la filialisation des clubs français quand ils intègrent un conglomérat international, à l’image du City Football Group, majoritairement détenu par un fonds émirati et dont le fleuron est Manchester City. Troyes, en Ligue 1, est sa dixième et plus récente acquisition, en 2020.

Symptôme de la financiarisation du football, « la constitution de ces conglomérats est une tendance de plus en plus marquée. Un club français peut alors être considéré comme une antichambre ou une pouponnière pour des joueurs destinés aux clubs plus huppés dans leur giron », relève Christophe Lepetit.

Le fonds américain 777 Partners, acquéreur du Red Star de Saint-Ouen en mai, est ainsi déjà propriétaire du Genoa (Italie), de Vasco da Gama (Brésil) et du Standard de Liège (Belgique). David Blitzer et sa holding Bolt Football, potentiels repreneurs de l’AS Saint-Etienne, sont actionnaires minoritaires de Crystal Palace (Angleterre) et d’une demi-douzaine de clubs en Europe et aux Etats-Unis. RedBird Capital Partners, nouveau propriétaire du Milan AC, l’est depuis 2020 du Toulouse FC.

 

Des montages financiers complexes, voire opaques

Pour exister sportivement au plus haut niveau du football européen comme dans son championnat national, il n’y aurait plus de salut sans un actionnaire puissant. Le creusement des écarts de richesse entre clubs, la corrélation croissante des résultats sportifs à la puissance financière plaident en ce sens.

Pour autant, le repreneur, qui arrive toujours avec des promesses d’investissement et des objectifs sportifs élevés, mène parfois les clubs à la relégation, voire à la banqueroute. Les supporteurs du Grenoble Foot 38, des Girondins de Bordeaux, ou du FC Sochaux peuvent en témoigner.

La DNCG examine les projets de reprise, mais elle ne donne qu’un avis, favorable ou défavorable, sans droit de veto si elle les estime douteux. « Dans les ligues nord-américaines, un projet de vente doit être approuvé par l’ensemble des autres propriétaires de franchises dans la ligue en question », compare Christophe Lepetit.

Face à des montages financiers complexes ou opaques, les ligues sont également démunies pour tracer l’origine exacte des fonds et garantir la solidité du repreneur. Quand l’homme d’affaires hispano-luxembourgeois Gérard Lopez était propriétaire du Lille OSC (dont il a été évincé en décembre 2020, avant sa reprise catastrophique des Girondins de Bordeaux), identifier les entités réellement détentrices du club relevait de la gageure.

 

Aujourd’hui, on ne sait pas si le LOSC appartient réellement à son repreneur, le fonds luxembourgeois Merlyn Partners SCSp, ou à sa filiale Callisto Sporting qui a récupéré ses dettes ou bien, comme le suspecte l’UEFA, au « fonds vautour » Elliot, créancier du club.

Pour l’heure, la quête de « compétitivité » nationale passe avant les efforts de régulation et le renforcement des critères éthiques – qui préoccupent le Royaume-Uni. Elle ne favorise pas les projets d’actionnariat populaire, et exclut encore plus une règle comme celle du « 50+1 » qui, en Allemagne, interdit à un investisseur de détenir la majorité des parts d’un club au détriment de son association sportive.

Lire la suite

Source : Le Monde

Diffusion partielle ou totale interdite sans la mention : Source www.kassataya.com

Articles similaires

Bouton retour en haut de la page