France – Législatives 2022 : une situation inédite pour l’Assemblée nationale sous la Vᵉ République

L’Hémicycle va incarner la complexité d’un paysage politique fragmenté comme il l’a rarement fait depuis 1958. Sur la dizaine de groupes potentiels, sept seront d’opposition dont trois seront en mesure de déposer une motion de censure.

Le Monde – Une majorité absolue envolée, deux partis contestataires consacrés comme premiers groupes d’opposition, un président de l’Assemblée nationale défait… Au soir du second tour des élections législatives, la logique du scrutin majoritaire a craqué de toute part sous la pression de l’abstention et d’une campagne erratique entre coups d’éclat et invectives. Chose inédite sous la Ve République et encore davantage depuis 2002 et la réforme du calendrier électoral, l’Hémicycle va incarner la complexité d’un paysage politique fragmenté.

 

Ensemble ! obtient 246 sièges, la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), 142, le Rassemblement national (RN), 89, le parti Les Républicains (LR) et l’Union des démocrates et indépendants (UDI), 64, la gauche hors Nupes, 13. Les députés élus dimanche 19 juin commenceront officiellement leur mandat mercredi, avant l’ouverture de la 16législature, mardi 28 juin.

Entre ces deux échéances, sept jours sont alloués aux élus de la précédente mandature pour vider leurs bureaux et laisser les nouveaux s’installer au Palais-Bourbon. Sept jours qui ne seront pas de trop pour les différentes formations, qui vont devoir prendre leurs marques dans cette nouvelle configuration politique et parlementaire. Quel positionnement vis-à-vis de la majorité relative d’Emmanuel Macron ? Quel avenir pour les alliances électorales comme Ensemble ! ou la Nupes ? Quelle présidence pour l’Assemblée nationale et les différents groupes parlementaires ?

Les tractations qui auront lieu cette semaine autour de la composition de ces groupes officialisés le 28 juin constituent le bras de fer ultime – après ce « troisième tour » – entre la majorité et ses oppositions. Sous la précédente mandature, l’Hémicycle a compté jusqu’à dix groupes parlementaires – un record – du fait des dissensions internes à La République en marche (LRM), qui avait fini par perdre la majorité absolue – passant de 314 députés à 266 députés à la fin de la législature.

Olivia Grégoire, la porte-parole du gouvernement, lors de la soirée électorale du second tour des législatives, sur le plateau de France Télévisions, le 19 juin 2022.

Ce nombre fatidique de dix entités à l’Assemblée nationale pourrait être de nouveau atteint et poserait d’importants défis organisationnels pour l’institution. Sur la dizaine de groupes parlementaires potentiels, sept seraient d’opposition, dont trois – LR, La France insoumise (LFI) et le RN – seraient en mesure de déposer une motion de censure pour renverser le gouvernement (qui nécessite 58 paraphes) et de recourir à une saisine du Conseil constitutionnel après l’examen d’un texte (60 signatures au minimum).

Qui dit oppositions sous la Ve République dit afflux d’amendements et un travail légistique soutenu pour les fonctionnaires de l’Assemblée nationale, qui devront traiter des demandes abondantes de la part de la Nupes, là où, durant la précédente législature, les dix-sept députés LFI avaient usé et parfois abusé des avalanches d’amendements pour contraindre leurs adversaires.

 

Alors que le RN constitue à ce stade le premier groupe d’opposition, avec 89 députés, la Nupes pourrait envisager de revoir sa stratégie. L’idée d’un intergroupe, portée durant la campagne afin de respecter les identités politiques de toutes ses composantes, se heurte à la réalité parlementaire, qui n’admet pas ce type de structure.

En l’état, le RN pourrait demander à obtenir de droit la prestigieuse et stratégique présidence de la commission des finances – qui, depuis la réforme du règlement de l’Assemblée de 2009, doit échoir à un député de l’opposition. Les soutiens d’Emmanuel Macron préviennent déjà en coulisses qu’ils n’hésiteront pas à prendre part au scrutin de cette élection qui doit se dérouler jeudi 30 juin, comme pour les autres commissions, afin de contrecarrer cette éventualité qu’il redoutait, avant l’élection, avec LFI. Mais l’expérience des élus RN dans une autre assemblée, le Parlement européen, démontre qu’ils n’ont jamais vraiment investi le travail législatif, délaissé au profit de sa fonction tribunicienne.

Souplesse des institutions de la Ve République

Pour LFI comme pour le RN, formations à la culture contestataire, tout l’enjeu sera dans les prochaines semaines de les voir se plier ou non aux logiques institutionnelles de l’Assemblée nationale, du fait de leur centralité en matière de nombre de sièges et de la visibilité liée au temps de parole conséquent dont ils disposeront dans l’Hémicycle.

L’Assemblée nationale, qui a été envisagée sous la Ve République comme un espace bipolarisé entre la gauche et la droite, doit s’habituer depuis 2017 à une organisation où les oppositions sont prépondérantes. Chaque groupe a accès à un droit de tirage pour lancer des commissions d’enquête parlementaire, à des journées consacrées à ses propres textes – les niches parlementaires – sans compter la participation aux réunions qui concourent à l’organisation de la vie parlementaire.

 

A ce stade, il serait précipité de confondre crise politique et crise institutionnelle. Le risque d’une paralysie du pouvoir législatif, qui entraînerait celle de l’exécutif, et donc un blocage institutionnel, comme le dramatisent déjà les macronistes, tentés de relativiser ainsi leur déroute électorale, semble exagéré.

Les précédents sous la Ve République, notamment celui de 1986 avec l’arrivée d’un groupe de trente-cinq députés du Front national dans une Assemblée élue à la proportionnelle, puis de 1988, avec une majorité relative pour François Mitterrand, ont permis de démontrer la souplesse des institutions de la Ve République et leur grande capacité d’adaptation aux contextes politiques, même les plus tumultueux, pour préserver la stabilité du pouvoir.

Les « marcheurs » n’auront plus le droit aux faux pas

Le débat parlementaire sera plus ardu, plus coûteux politiquement, voire plus brutal pour les macronistes habitués à une position de quasi-hégémonie depuis 2017. Ils ne pourront certainement plus balayer dès l’examen des textes en commission les amendements proposés par les oppositions, en allant parfois même jusqu’à les reprendre à leur compte en séance publique pour se donner le beau rôle. Avec les élus LR pressentis pour être la force d’appoint principale, c’est une nouvelle dialectique qui s’impose.

Cette culture du compromis, invisible à l’Assemblée nationale, s’exerce en silence au Sénat depuis cinq ans. Le gouvernement a été constamment obligé de faire des concessions à la majorité de droite et du centre et à son président (LR) Gérard Larcher sur de nombreux textes, le plus souvent techniques, mais qui ont pour leur grande majorité abouti à des commissions mixtes paritaires conclusives.

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Après ce scrutin sans précédent, la base du système majoritaire reste inchangée et le Parlement reste ce qu’il est, à savoir faible, sous la Ve République. Il suffirait à Emmanuel Macron de reconstituer un axe fort entre lui, sa première ministre, le président de l’Assemblée nationale et le chef du groupe présidentiel pour immédiatement retrouver ses appuis stratégiques au Palais-Bourbon, et faire naviguer plus facilement ses textes. D’autant plus que le gouvernement a la mainmise sur l’ordre du jour.

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Mariama Darame

Source : Le Monde

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