Musique – L’artiste sénégalais Beni Fadi chante pour sauver sa langue

Beni Fadi, Benoît Fader Keita de son vrai nom, voudrait grâce à l’électro redonner vie à sa langue natale, le mënik, menacée d’extinction. Il sera en concert à Paris, ce vendredi 17 juin 2022. Portrait.

Courrier international – Benoît Fader Keita, nom de scène Beni Fadi, n’avait pas prévu de faire de l’électro, mais après un premier spectacle à guichets fermés à Dakar, le mois dernier, il pense que ce genre pourrait sauver de l’extinction la langue qu’il aime tant. “La techno a un attrait international. Tout le monde est venu à ce concert – il y avait des gens de beaucoup de pays différents, confie-t-il. C’était probablement la première fois qu’ils entendaient quelqu’un chanter en mënik.”

Keita, 36 ans, est bedik, une minorité du sud-est du Sénégal. Le mënik, sa langue maternelle, est parlé par moins de 4 000 personnes. L’Unesco la considère comme l’une des près de 2 500 langues en danger du monde.

Quand Keita est arrivé dans la capitale sénégalaise pour faire des études, en 2008, il a découvert avec stupéfaction que très peu de gens avaient entendu parler de sa communauté dans son université. “Personne ne parlait ma langue. Personne ne savait rien des Bedik, la plupart des gens ne connaissaient même pas notre existence. Ça m’a vraiment choqué de constater qu’aucun de ces gens n’avait entendu parler de nous, même dans mon pays. C’est là que j’ai pris conscience qu’il fallait que je fasse quelque chose”, raconte-t-il.

Du reggae à la musique électro

Keita a des concerts prévus à Paris* et à Berlin, et va sortir un EP de quatre titres produit par les poids lourds de l’électro panafricaine Electrafrique et RISE, un grand moment dans son combat individuel pour faire revivre sa langue.

DJ Cortega, un des fondateurs d’Electrafrique, l’avait entendu à Bandafassi, la ville natale du chanteur, en 2020. Il confie :

“J’ai été immédiatement touché par son histoire et par ce qu’il essayait de faire, J’ai aimé la versatilité de sa voix.”

Farkoko (“caméléon”, en mënik), le titre du disque, traduit le fait que Keita s’est adapté à un nouveau style musical.

Le chanteur a commencé à faire de la musique, essentiellement du reggae, et à poster des morceaux autoproduits sur Facebook et YouTube en 2018. L’un d’entre eux accusait les responsables politiques d’avoir tous trahi leur promesse de s’attaquer aux questions de sécurité dans sa région ; un autre fulminait contre une chaîne d’information pour avoir répandu des mensonges sur les Bedik.

Si Keita s’est converti à la musique électronique, c’est essentiellement grâce à DJ Cortega. “Il m’a aidé à voir que l’électro était le meilleur moyen d’internationaliser ma langue et ma culture”, explique-t-il.

Le folklore en chansons

Keita conte des histoires du folklore bedik sur fond d’afro house et de techno soutenue par la caisse claire. Beggo parle d’un homme qui tombe amoureux d’un baobab qui s’est transformé en jeune femme avec l’aide d’un esprit malicieux. La morale de ce conte, c’est qu’il faut accepter des canons de beauté réalistes, précise le chanteur. “Si je ne chante pas ces histoires, elles vont disparaître”, assure-t-il.

Ses amis et sa famille doutaient qu’il puisse faire carrière dans la musique au Sénégal. La scène musicale est en effet dominée depuis les années 1970 par une musique de danse entraînante appelée mbalax, dont Youssou N’Dour est le phare. Le pays possède également des scènes jazz et hip-hop florissantes. L’intéressé se souvient :

“Ils me disaient qu’il y avait plus de 3 000 chanteurs au Sénégal et que je n’avais aucune chance.”

Déterminé à réussir, Keita s’est fait discret, a enregistré en privé et cessé de poster des morceaux sur les réseaux sociaux. Il a rapidement obtenu des passages en radio et a commencé à être pris au sérieux.

Une langue oubliée

À Bandafassi, la commune vallonnée qui abrite les Bedik depuis le XIIIe siècle, les gens sont reconnaissants. “Si la langue mënik survit, ce sera largement grâce à lui”, déclare Tama Funé Keita, un ancien qui est forgeron de métier.

Le mënik n’est pas enseigné à l’école, et l’émigration économique fait que la communauté bedik, qui était jadis insulaire, se mêle de plus en plus au reste de la population et adopte d’autres langues, par exemple le wolof et le pulaar.

“Nous sommes obligés de parler d’autres langues, sinon personne ne nous comprendra. Nous sommes une toute petite minorité”, confie Gabriel Camara, un fonctionnaire de la mairie de Bandafassi.

La musique ne paie pas encore les factures, mais Keita pense que cela vaut la peine de jongler entre son travail de monteur de vidéo à plein temps et un programme de plus en plus chargé de concerts, répétitions, et séances d’enregistrement. “Je ne veux pas assister à la mort de ma langue et de ma culture. Ça ferait de moi un complice”, déclare-t-il.

* Beni Fadi est en concert au Djoon, à Paris, le 17 juin. Affiche partagée. Plus d’infos à cette adresse.

 

 

 

 

 

 

 

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