
Slate – Je ne vais pas en rajouter sur la polémique entourant le fiasco de la finale de la Ligue des champions. Probablement faudra-t-il du temps, beaucoup de temps, avant qu’on puisse pointer les défaillances et les erreurs des uns et des autres. Côté anglais comme côté français. Pour autant, je sais une chose, une seule: à chacun de mes voyages en France, et notamment à Paris, je me demande comment cette ville, au regard de la totale désorganisation qui y règne, peut prétendre organiser un événement aussi important que les Jeux olympiques.
Il faut bien comprendre une chose qui saute aux yeux quand on arrive de l’étranger, et surtout, si par malheur, on atterrit à Roissy. La France se fout complètement de l’accueil qu’elle peut réserver à ses visiteurs. Ce n’est pas son problème. Elle veut bien prendre vos devises, se targuer d’être la première destination au monde, mais ne comptez pas sur elle pour vous faciliter votre voyage. En aucun cas. Déjà qu’on vous ouvre en grand les portes du plus beau pays de la terre de l’univers, on ne va pas en plus se démener pour vous rendre la vie agréable.
À partir du moment où vous mettez le pied sur le territoire français, vous êtes seul, irrémédiablement seul, livré à toutes sortes de caprices qui vont d’une grève sauvage déclenchée une minute avant votre arrivée à une absence de toute signalisation susceptible de vous indiquer la direction à prendre pour rejoindre la capitale.
Parce qu’évidemment à ce jour, il n’existe toujours aucun service, aucune navette express, aucun métro rapide, aucun moyen de transport moderne qui relie Roissy au cœur de Paris. Ce doit être une exception mondiale, une anomalie qui vous classe d’emblée un pays dans la catégorie «Contrée à éviter autant que possible». Un non-sens absolu et un crachat à la face des touristes. Ô toi, brave voyageur qui vient de te taper huit heures d’avion plus une pour passer la douane et récupérer tes bagages, qui n’a rien bouffé de comestible depuis la veille au soir, qui doit te taper les affres du décalage horaire, bienvenue en Démerdeland et que la force (et la patience) soit avec toi.
Vu que le prix du taxi coûte parfois plus cher que votre billet d’avion, vous vous rabattez soit sur le Roissybus –encore faut-il savoir qu’il existe, encore faut-il qu’il fonctionne, encore faut-il trouver son emplacement– soit vous optez pour la solution la moins onéreuse: le damné RER B qui se trouve être à douze kilomètres de votre point d’arrivée, si loin que vous vous arrêtez toutes les cinq minutes pour vous assurer d’être dans la bonne direction.
Mais ce très léger inconvénient ne serait rien comparé à ce qui vous attend, j’entends ce moment où arrivé sur le quai de gare, vous faites face à un train à l’arrêt dont vous n’avez aucun moyen de savoir s’il va à Paris ou à Tombouctou. Il y a bien un écran de signalisation mais soit il ne marche pas, soit les carrés qui annoncent les destinations desservies clignotent comme un flipper sous acide. Impossible de savoir si ce train se rend à son dépôt, s’il est là juste pour la décoration, s’il vient d’arriver pour ne jamais repartir ou si c’est un leurre destiné à tester la patience du touriste.
Moi à force, j’ai l’habitude: je monte direct dedans et à chaque fois, je dis bien à chaque fois, je dois servir de garde-chiourme à des touristes hagards qui d’une voix angoissée où je perçois l’épuisement d’une personne rendue au bout de ses capacités mentales et physiques me demande:
– C’est train to Paris, yes, oui?
– Oui, oui, Paris, Welcome in France, mon ami, la patrie des droits de l’homme et du voyageur.
Comment expliquer ce sentiment d’irréalité qui vous saisit alors, cette impression d’avoir atterri dans un pays du bout du monde où l’idée même de civilisation, de modernité, d’accueil, serait encore une vague utopie, une lointaine rumeur, un concept fumeux très éloigné des pratiques locales? Parfois, je dois le dire, j’ai honte pour mon pays, j’aimerais m’excuser de cet affront, prétendre que ces touristes sont mal tombés, que ce n’est pas ainsi d’habitude, que d’ordinaire tout se passe comme sur des roulettes.
Lors de mon dernier séjour en octobre dernier, c’est à mon retour que j’ai eu droit à la démonstration du génie français. Mon avion partait un dimanche matin. Pour ceux qui ne me connaîtraient pas, je suis ce qu’on pourrait nommer une personne légèrement angoissée qui a l’imprévu en horreur. Autant dire que je ne laisse rien au hasard. Mille fois je vérifie sur internet l’horaire du passage du bus, l’endroit où prendre le Roissybus, l’heure à laquelle j’arriverai à l’aéroport, si la boulangerie du coin sera ouverte ou pas…
Bon, cette fois, étant logé à Montrouge, je devais prendre le bus 68 à 6h30 du matin lequel me déposerait trente-cinq minutes plus tard à Opéra d’où je rejoindrais l’arrêt du Roissybus dont le départ était prévu à la demie de 7h. Simple comme bonjour. Évidemment, étant du genre à arriver huit heures à l’avance à l’aéroport, j’avais vu large… Heureusement.
Je dis heureusement parce que figurez-vous qu’en ce matin d’octobre, Paris, en même temps qu’elle officialisait mon départ, organisait aussi son marathon. C’est très bien les marathons, hein. Sauf que personne, je dis bien personne, à la RATP, n’avait songé à alerter ses voyageurs qu’en ce dimanche matin, au regard de la course à venir, les bus fonctionneraient sur des trajets raccourcis. Ainsi le mien, au lieu d’aller jusqu’à l’Opéra, m’a déposé… rue de Grenelle.
Vous dirais-je cette angoisse particulière qui vous étreint quand à l’aube glacée, fort de vos huit valises et de votre nuit sans sommeil, au milieu d’une rue plongée dans le noir de la nuit, vous vous retrouvez abandonné de tous, sans rien ni personne pour vous aider? Dans mon malheur, j’ai quand même eu de la chance: j’avais vécu près de quarante années à Paris et n’étant pas encore complètement gâteux, je savais qu’il existait un métro au coin de la rue de Grenelle et du boulevard Raspail.
J’ai donc pu rejoindre le point de départ du Roissybus à temps. Sauf que non. De bus, il n’y en avait pas. Because le Marathon. Of course. Il faut dire que contrairement à la RATP, l’entreprise en charge de la navette avait fait un effort exceptionnel sous la forme d’un papelard scotché à la va-vite tout en bas de la vitre de l’abribus où on pouvait lire à la lueur de la lampe de son téléphone portable ces quelques mots griffonnés à la main: «Pas de Bus. Allez à Saint-Lazare.»
C’est tout. Allez à Saint-Lazare. Ou pour le dire autrement: VA TE FAIRE FOUTRE CONNARD DE VOYAGEUR DE MES DEUX, CE N’EST PAS MON PROBLÈME SI T’ES ASSEZ CON POUR NE PAS CONNAÎTRE SAINT-LAZARE ET SES FAUBOURGS.
Source : Slate (France)
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