« Je ne comprends pas d’où viennent ces peurs » : la montée de l’extrême droite, un crève-cœur pour les binationaux

Avant le débat entre Emmanuel Macron et Marine Le Pen, « Le Monde Afrique » a interrogé des Français à la double nationalité, installés en Afrique.

Le Monde – A quelques heures du face-à-face qui doit opposer, mercredi 20 avril, le président sortant à la candidate du Rassemblement national, Mehdi Gharnit ne cache pas une certaine lassitude. La course à la présidentielle s’est résumée, pour ce Franco-Marocain de 38 ans, à un « débat assez pauvre, une gauche divisée, un président sur son piédestal qui n’a pas joué le jeu ». Et, encore une fois, les « questions identitaires » se sont imposées au premier plan, se désole sa compagne, Leïla Benazzouz, enseignante comme lui dans un établissement français de Casablanca.

Pour ces binationaux installés sur la rive sud de la Méditerranée, la montée en puissance des thématiques d’extrême droite est un crève-cœur. « Je ne vois pas le lien entre ces discours politiques et la réalité, je ne comprends pas d’où viennent ces peurs », confie Leïla Benazzouz, qui a commencé sa carrière en Seine-Saint-Denis.

 

« En tant que binationale, il m’apparaît comme une évidence que les cultures se métissent. Comme si je ne pouvais pas être 100 % Française et 100 % Marocaine, comme si je devais choisir ! », s’indigne la jeune femme, qui a voté, au premier tour, pour Jean-Luc Mélenchon, précisément parce qu’il était l’un des seuls « à parler de créolisation ».

Qualifiés en 2015 de « demi-Français » par Jean-Marie Le Pen qui disait alors douter de leur « loyalisme », les binationaux ne sont plus directement visés par le Rassemblement national. Alors qu’elle avait ardemment défendu en 2012 et en 2017 la suppression de la double nationalité extra-européenne, ce vieux totem de l’extrême droite ne figure plus, cette année, dans le programme de Marine Le Pen.

« Pire en cas de victoire de Marine Le Pen »

Un changement de pied décidé en catimini qui a surpris ses partisans. Mais qu’elle assume parce que, précisait-elle il y a quelques mois au Monde, « la France a changé » et que cette mesure « inquièt[ait] inutilement les Français d’origine étrangère ».

Inquiet, Selim Ben Abdesselem, ancien député tunisien, l’est pourtant toujours. « L’extrême droite a renoncé à remettre en question la binationalité, mais il y a eu toutes les sorties sur les étrangers, les prestations sociales réservées aux Français ou encore la préférence nationale », déplore-t-il. Après avoir voté pour le candidat écologiste Yannick Jadot au premier tour, l’ancien militant socialiste de 52 ans qui vit à Tunis est résigné à faire « barrage au Front national » dimanche 24 avril.

« Même si je ne cautionne pas du tout la politique d’Emmanuel Macron, souligne-t-il, donnant pour exemple l’augmentation des frais d’inscription pour les étudiants étrangers décidée en 2019. Mais, quoi qu’il arrive, ce serait pire en cas de victoire de Marine Le Pen. »

Si elle partage ce rejet de l’extrême droite, Hélène Cuny, 28 ans, née d’un père français et d’une mère ivoirienne, dit ne pas avoir « plus peur que ça » d’une victoire de la candidate du Rassemblement national. Après tout, ses idées irriguent désormais une bonne partie du champ politique.

« Ça me conforte dans mon choix d’avoir quitté la France »

« Je me dis qu’on a qu’à la laisser gagner et que, de toute façon, elle n’arrivera jamais à mettre en place tout ce qu’elle promet. Les gens verront que la solution n’est pas le FN. » La France pourrait alors, enfin, « passer à autre chose », espère la jeune femme depuis Abidjan, la capitale économique ivoirienne, tout en confiant ne s’intéresser à la politique « que de loin, via les réseaux sociaux ».

Si elle considère Marine Le Pen comme « moins dangereuse qu’avant », Elodie Yahaut, Franco-Ivoirienne elle aussi, vit très mal l’idée que l’extrême droite ait réuni un peu plus de 32 % des voix au premier tour. « Ça me conforte dans mon choix d’avoir quitté la France en 2019 », lâche la trentenaire et ce « même si la Côte d’Ivoire n’est pas pour autant un paradis ». Pour elle, hors de question de retourner de faire machine arrière « dans l’atmosphère actuelle, sauf en cas de force majeure ».

 

Pourtant, même en Afrique francophone, Marine Le Pen a réussi à polir son image. Si elle est arrivée très loin derrière Emmanuel Macron et Jean-Luc Melenchon dans les pays du Maghreb et du golfe de Guinée au premier tour, elle bénéficie, auprès de certains binationaux, de la défiance qu’inspire le président sortant.

« Regardez ce que Macron a fait avec les services publics, les gilets jaunes, le passe sanitaire…, pointe Youssef Benjelloun, Franco-Marocain de 42 ans. Les pauvres se sont appauvris et la classe moyenne s’est cassée la figure. Beaucoup de gens ont fini par se dire : “Pourquoi pas donner sa chance à Marine Le Pen”, et c’est aussi ce que je pense. »

Chez les expatriés

Père de trois enfants, cet ingénieur dans les travaux publics à Casablanca a beau être convaincu que la candidate du RN est « raciste », elle apparaît « plus modérée » à ses yeux. « Dans son équipe, parmi ses militants, il y a des Noirs et des Arabes, précise-t-il. Et puis, il y a des pays où l’extrême droite gouverne et qui s’en sortent pas si mal. »

En cas de victoire, « elle se heurterait de toute façon à un principe de réalité. Jamais elle n’arrivera à faire sa “France aux Français”, parce que la France, comme l’Europe, est vieillissante et qu’il y aura toujours besoin d’immigrés pour faire le boulot que les Français ne veulent pas faire ».

 

S’il déplore cette « surenchère de discours contre les Arabes, l’islam, le voile » à chaque élection, Youssef Benjelloun reste « profondément fier d’être français, comme je suis fier d’être Marocain ». Il garde de ses dix années passées dans le Nord-Pas-de-Calais, où il a fait ses études et commencé sa vie active, un « grand amour pour la France ». Engagé désormais au Maroc dans les écoles françaises en tant que représentant de parents d’élèves, il regrette que la France « perde de son influence et de sa splendeur » dans son pays d’origine.

Ce discours, s’il reste marginal parmi les binationaux interrogés par Le Monde, est de plus en plus populaire chez les expatriés installés sur la côte ouest-africaine. Au Maroc, la proportion d’électeurs d’extrême droite a été nettement plus forte à Marrakech (21 %) et à Agadir (24 %), deux villes du sud du pays hautement touristiques et abritant une grande communauté de retraités.

 

Maimouna Vidal, Franco-Sénégalaise, a aussi pu constater cette percée chez elle, à Saly, petite ville balnéaire au sud de Dakar, où Marine Le Pen et Eric Zemmour ont récolté ensemble plus de 34 % des voix. « Je ne comprends pas que le Rassemblement national soit aussi présent ici sur la petite côte, alors que ces Français sont des étrangers accueillis au Sénégal », s’indigne la mère de famille, militante de La République en marche.

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Source : Le Monde

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