Au sommet d’Ariane 5, trois artistes africains à la conquête du ciel

En décembre, Arianespace mettra en orbite le premier satellite météorologique africain orné d’une œuvre réalisée par Jean-David Nkot, Michel Ekeba et Géraldine Tobé. Tout un symbole.

Le Monde – L’Afrique aura bientôt son propre satellite météorologique. Le lanceur Ariane 5 prendra en décembre son dernier envol, destiné à mettre en orbite MTG-I1, le premier exclusivement dédié au continent. Avec une originalité : il portera, sur la coiffe qui chapeaute la fusée, la reproduction d’une fresque à six mains, intitulée Memory of today, Memory of the future, et signée par trois fleurons de l’art contemporain, le Camerounais Jean-David Nkot et les Congolais Michel Ekeba et Géraldine Tobé.

Cette contribution africaine est avant tout symbolique. L’African Space Art Project (ASAP) a été conçu par le fonds de dotation français AAD, l’agence satellite européenne Eumetsat et Arianespace, le leader de l’industrie spatiale française. « Jusqu’à présent, Arianespace n’avait jamais accepté de mettre le moindre logo sur une fusée, se réjouit le coprésident de l’ONG African Artists for Development (AAD) Matthias Leridon, à l’origine du projet. Mais il a suffi de passer un coup de fil à Stéphane Israël [patron d’Arianespace] pour le convaincre qu’on ne pouvait pas envoyer un satellite européen pour l’Afrique sans aucun apport du continent. » L’original de l’œuvre sera remis à l’Union africaine à l’issue du lancement.

 

Ce nouveau satellite géostationnaire, le premier de la flotte nouvelle génération MTG, surveillera l’ensemble du continent pour fournir des données météorologiques et climatiques à haute fréquence. L’objectif annoncé par Eumetsat est de suivre et anticiper les événements météorologiques extrêmes qui commencent à se multiplier en Afrique, en première ligne face au dérèglement du climat. Selon le dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), 118 millions d’Africains parmi les plus pauvres seront exposés d’ici à 2030 à des sécheresses, des inondations et des chaleurs extrêmes.

Afronautes

Lors de l’élaboration de la fresque réalisée à Ouidah, au Bénin, un lieu chargé d’histoire car ancienne plaque tournante du commerce triangulaire, Géraldine Tobé a fait le choix de représenter la frange la plus modeste de la société béninoise. En l’occurrence, la jeune femme chargée de l’entretien de la résidence. « Je tenais à ce que ce soit elle qui soit peinte sur la coiffe d’Ariane 5, raconte l’artiste congolaise. Pour moi, elle est le symbole de tout le continent, pour l’instant occupée à des tâches modestes au ras du sol, mais sur le point de s’élancer vers l’avenir, comme une coureuse de marathon. »

Le tableau est riche d’autres symboles : la cartographie stylisée de Jean-David Nkot renvoie à la diversité de la topographie africaine, les couleurs des « afronautes » de Michel Ekeba aux six zones climatiques du continent.

Afronautes ? Le néologisme n’est pas du performeur congolais, mais d’un professeur de sciences zambien né en 1919, Edward Makuka Nkoloso. En 1964, au plus fort de la « course aux étoiles » qui oppose les Etats-Unis à l’URSS, l’ambitieux enseignant promet que la Zambie devancera les deux titans en posant, la première, le pied sur… Mars.

 

Edward Makuka Nkoloso monte le projet « Afronautes » et conçoit un camp d’entraînement près de la capitale, Lusaka. Il sélectionne des volontaires : douze humains, dont une jeune femme, et dix chats. Malheureusement pour les afronautes, ni le gouvernement zambien ni l’Unesco ne leur accordent les 7 millions de livres zambiennes demandés, et le programme est vite oublié. Nkoloso, décrit tantôt comme un excentrique, tantôt comme maniant en génie l’ironie politique, est devenu par la suite un combattant de l’indépendance zambienne.

« Pour moi, il y a quelque chose de très africain dans cette ambition spatiale, cette quête d’un ailleurs, explique l’artiste Michel Ekeba. J’ai été influencé par le jazzman afro-américain Sun Ra, précurseur de l’afrofuturisme, qui chantait ce désir d’exil, ce sentiment pour les Noirs de n’avoir pas leur place sur Terre. » Ses Kongo Astronauts, représentés sur la fresque d’Ariane 5, sont les héritiers des afronautes zambiens. Michel Ekeba les incarne dans ses performances futuristes, en arpentant les rues de Kinshasa vêtu de scaphandres faits de bric et de broc, de déchets électroniques et plastiques récupérés dans les décharges et repeints d’or ou d’argent.

Agence spatiale africaine

En août 2021, la société spatiale de Jeff Bezos, Blue Origin, a lancé dans l’espace trois portraits de l’artiste ghanéen Amoako Boafo, peints à même la fusée New Shepard. Le Suborbital Triptych a passé une dizaine de minutes en apesanteur avant de revenir sur terre. Voilà pour le symbole : mais sur le plan technique, les avancées du continent dans le domaine spatial sont pour l’heure bien modestes. « Décorer des fusées, c’est bien, mais ce n’est pas assez, dit encore Michel Ekeba. Il faut maintenant que l’Afrique produise et lance ses propres engins spatiaux ! »

Sur les quelque 2 500 satellites en orbite autour de la Terre, 44 seulement sont africains. En 2019, l’Union africaine a créé en grande pompe son Agence spatiale africaine, destinée à coordonner la stratégie spatiale du continent. Pandémie oblige, son lancement officiel ne devrait avoir lieu qu’en 2022.

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Marine Jeannin

Source : Le Monde

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