
Le Monde– Axel Emmanuel Gbaou parle du cacao comme du bon vin. « Celui-ci n’a presque pas d’amertume, les arômes floraux explosent en bouche », se délecte-t-il en croquant une des fèves qui sèche sur les parcelles d’Ambroise N’Koh, planteur de cacao renommé d’Azaguié, au nord d’Abidjan, la capitale économique ivoirienne. Il lui achète une tonne de matière première chaque année. « Son cacao est bio, agropastoral, il est exceptionnel », poursuit l’artisan.
Chocolatier exigeant, Axel Emmanuel Gbaou travaille avec les cacaoculteurs certifiés bio, commerce équitable ou qui ont adopté de bonnes pratiques agricoles. Il repère ainsi les « bons crus » en fonction des « terroirs », de la pluviométrie ou encore de l’altitude des plantations. Une exigence qui lui permet aujourd’hui de fabriquer des tablettes de chocolat de qualité, multi-récompensées et vendues un peu partout dans le monde : en Côte d’Ivoire majoritairement, mais aussi aux Etats-Unis, en France et en Allemagne.
En mars, son chocolat de Daloa, ville de l’ouest ivoirien, a été distingué « Meilleur chocolat du monde » au Salon de l’agriculture de Paris. « Un chocolat de zone forestière intense en cacao », décrit le créateur de la marque Le Chocolatier ivoirien. Cette récompense est selon lui davantage celle des planteuses et transformatrices qu’il a formées dans cette région de la boucle du cacao. Et vient saluer la démarche de l’entrepreneur : inclure les femmes de planteurs dans la chaîne de valeur de l’or brun. « Au début, j’ai essayé de travailler avec des hommes, mais ça n’a pas marché. Les dames sont plus organisées, plus structurées et font le travail avec le cœur », observe-t-il.
« Le cacao a construit notre pays »
Depuis 2016, Axel Emmanuel Gbaou a formé 2 000 femmes dans différents terroirs cacaoyers du pays. Dans le village d’Abbé-Bégnini, au nord d’Abidjan, elles sont une douzaine à décortiquer les fèves séchées. Elles les vendent ensuite au chocolatier, minimum 3 000 francs CFA le kilo (4,58 euros), soit environ quatre fois plus que les prix du marché. « On est dans le premier pays producteur de cacao au monde et on a un million de planteurs qui vivent avec moins d’un dollar par jour. C’est une situation intenable sur le long terme », assure-t-il pour expliquer sa démarche.
Axel Emmanuel Gbaou termine ensuite la transformation dans son atelier de Cocody, à Abidjan. Mais désormais les femmes du village aussi fabriquent leurs produits finis, ce qui leur assure un revenu supplémentaire. « On fait de la poudre afin d’extraire le beurre de cacao. Et ensuite, on en fait du savon qu’on vend au marché », explique Eliane N’Guessan, présidente de l’association villageoise. Les femmes d’Abbé-Bégnini, aimeraient tout de même avoir davantage de matériel et un local, afin de transformer le cacao en chocolat et « s’en sortir encore mieux » comme M. Gbaou.
Car le parcours du chocolatier inspire. Après des études de sciences politiques et de fiscalité, il rejoint une banque ivoirienne, « mais ça ne me plaisait pas du tout », confie-t-il. C’est pourtant dans cet univers qu’il commence à s’intéresser au chocolat. « En banque, il y a ceux qu’on appelle les banquiers cacao, des spécialistes très respectés qu’on débauche et qui rapportent de gros capitaux à la banque. Au moment des récoltes, la banque était en ébullition. Je me suis dit, si le cacao a construit ce pays, il pourra construire ma vie », lance-t-il dans un récit bien huilé.
Alors, encore banquier, il commence à écraser du cacao dans la cuisine de sa mère, et fabrique des petits chocolats qu’il vend à des entreprises situées près de ses bureaux. « En 2011, l’opérateur sud-africain MTN m’en a commandé pour la Saint-Valentin. Ils ont tellement apprécié qu’ils m’ont demandé d’en vendre aux autres agences d’Abidjan », se souvient-il. Un déclic.
Il quitte la finance, se forme auprès du chef de l’Hôtel du golf, à Abidjan, et rencontre rapidement un vif succès. Il devient champion de Côte d’Ivoire de chocolat-pâtisserie et vice-champion d’Afrique en 2014, lauréat du prix Alassane Ouattara du jeune entrepreneur en 2015 et, en 2020, il remporte avec sa douzaine d’employées le prix Africa’s Business Heroes organisé par la fondation Jack Ma, célèbre homme d’affaires chinois, et « qui nous a permis de gagner 100 000 euros ».
« Imprimés de pagnes africains »
Son ambition est de proposer un chocolat du terroir, et de le faire savoir. « Au début, les consommateurs ivoiriens étaient persuadés que le chocolat était fabriqué en Occident. J’ai donc ajouté des saveurs locales comme le piment et le gingembre, mais ça n’a pas suffi. Alors en 2018, j’ai eu l’idée d’emballer le chocolat avec des imprimés de pagnes africains d’Angola, de Bénin, de Côte d’Ivoire, et là ça a décollé », développe l’entrepreneur. Il dit vendre aujourd’hui 10 000 tablettes par mois et avoir triplé son chiffre d’affaires entre 2016 et 2019.
Pour s’en sortir économiquement, le chocolat n’est pas forcément la panacée. « Les tablettes ne représentent que 30 % des produits à base cacao, explique-t-il. On peut faire énormément de produits dérivés, plus valorisants et mieux rémunérés que le chocolat : des infusions avec la peau de la fève, du savon, des bières au cacao… »
Fort de son succès, Axel Emmanuel Gbaou souhaite désormais industrialiser son activité, tout en lui conservant sa touche artisanale. « Il n’y a quasiment pas d’usine qui fabrique du chocolat en Côte d’Ivoire, c’est indigne de notre pays », s’agace-t-il. S’il y parvient, il sait qu’il devra faire face à certaines difficultés : « Il faudra importer des éléments essentiels qui coûtent cher comme le sucre et le lait, car nous n’avons pas d’industrie laitière en Côte d’Ivoire », regrette-t-il.
Source : Le Monde
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