Au Quai Branly, inventivité et vivacité des arts du Cameroun

A Paris, l’exposition « Sur la route des chefferies du Cameroun » illustre la manière dont s’exercent les pouvoirs spirituels et temporels dans les microroyaumes de l’ouest du pays.

Le Monde – Depuis son ouverture en 2006, le Musée du quai Branly-Jacques-Chirac a consacré de très nombreuses expositions aux arts des civilisations dites « non occidentales » et, avec une régularité particulière, à ceux de l’Afrique subsaharienne.

C’était, jusqu’à présent, des séries d’œuvres prises dans des collections européennes et nord-américaines, avec une préférence marquée pour les plus anciennes et les plus rares des sculptures, dont les fonctions politiques et religieuses étaient indiquées dans des commentaires à caractère ethnographique souvent assez brefs.

 

Non seulement l’exposition « Sur la route des chefferies du Cameroun » ne se conforme pas à ces habitudes, mais elle s’y oppose, à tel point qu’elle apparaît comme un contre-modèle.

Elle ne cherche pas à aligner des chefs-d’œuvre, mais à expliquer comment s’exercent aujourd’hui les pouvoirs temporels et spirituels dans les petits royaumes de la région des Grassfields, à l’ouest et au nord-ouest du Cameroun, des espaces montagneux, largement arrosés et fertiles. Et comment les arts, qui en sont inséparables, sont toujours vivants et inventifs. Son propos relève ainsi simultanément de l’histoire religieuse, politique, sociale et culturelle.

Témoignage du présent

Il faut en prévenir les amateurs d’art africain ancien : si l’exposition donne à voir de très nombreux objets, ce ne sont pas les plus célèbres des œuvres bamoun ou bamileke qui se trouvent dans les musées des puissances coloniales ayant occupé ces terres, l’Empire allemand avant la première guerre mondiale, la France et la Grande-Bretagne après 1918.

En dehors de celles qui appartiennent au musée parisien, les pièces exposées sont très majoritairement conservées par les chefferies elles-mêmes et ont été choisies pour leur exemplarité, et non pour leur rareté. Elles ne témoignent pas d’un passé auquel la colonisation aurait été fatale, mais, à l’inverse, d’un présent dans lequel les structures traditionnelles déterminent encore en large partie les mœurs. En ce sens, il est aussi logique que le commissariat de la manifestation ait été assumé non par des conservateurs de musée, mais par l’association camerounaise La Route des chefferies.

 

Celle-ci, fondée en 2006, fédère désormais une cinquantaine de ces microroyaumes voisins les uns des autres. Elle a conçu et mis en pratique, depuis 2008, la notion de « case patrimoniale » : des bâtiments qui sont et ne sont pas des musées à la fois. Les objets n’y sont pas enfermés définitivement dans leurs vitrines et en sortent pour participer à des cérémonies, publiques ou secrètes, selon les cas – ce qui serait incompatible avec la conception occidentale du musée tombeau. Chacune de ces cases a sa thématique propre, déterminée par le lieu où elle se trouve : forge, totémisme, esclavage, etc.

Plus vaste, le Musée des civilisations de Dschang a été inauguré en 2011, en attendant le nouveau musée royal de Foumban, dont l’architecture reprend à l’échelle monumentale les armoiries du royaume – une araignée et un serpent à deux têtes.

Motifs anciens renouvelés

Supposant, légitimement, que les cultures dont elle traite sont encore méconnues du public, le parcours de l’exposition est construit à la manière d’un livre : une introduction qui rappelle le contexte général et les modes de fonctionnement des chefferies, puis des chapitres thématiques consacrés à des types d’objets spécifiques et leurs usages – calebasses, armes, piliers sculptés, statues sacrées, vêtements et parures, trônes –, et d’autres traitant de l’organisation de la société – étendue et limites du pouvoir du roi, statut et influence des reines, sociétés secrètes reconnaissables à leurs emblèmes et définies par leurs fonctions d’initiation ou de commémoration, rituels chantés et dansés.

Puisque ces données sont actuelles, elles sont illustrées par des œuvres récentes, très récentes même pour celles d’artistes contemporains, qui renouvellent énergiquement des motifs anciens. Ainsi en est-il des têtes de bronze historiées et hérissées de symboles d’Hervé Yamguen et des hauts totems de bois recouverts de perlages polychromes d’Hervé Youmbi où l’on reconnaît, parmi des têtes d’animaux sacrés et des citations de la sculpture ancienne, des pictogrammes d’aujourd’hui, @ par exemple.

 

Ainsi en est-il encore des costumes, coiffes et masques cagoules qui, en raison de leurs matériaux – tissus, plumes –, supportent moins bien le passage du temps que le bois ou le métal. Ceux qui parent les nombreux mannequins répartis le long du parcours sont, pour la plupart, des créations actuelles, conformes aux modèles antérieurs ou adaptées de ceux-ci : mêmes géométries de losanges encastrés ou de courbes concentriques, même prolifération des perles aux couleurs lumineuses, même emploi décoratif et symbolique des cauris – ces petits coquillages blancs qui firent longtemps office de monnaie.

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« Sur la route des chefferies du Cameroun ». Musée du quai Branly-Jacques-Chirac, 37, quai Branly, Paris 7e. Du mardi au dimanche, de 10 h 30 à 19 heures De 9 € à 12 €. Jusqu’au 17 juillet. Quaibranly.fr

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Source : Le Monde

 

 

 

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