Histoire – Des nageurs préhistoriques dans le Sahara

Néolithique – Égypte. Découverte en 1933 dans le Sahara oriental, la célèbre grotte des Nageurs n’en finit pas de déconcerter les archéologues.

Courrier international – Dans l’extrême ouest de l’Égypte, l’une des zones les plus âpres du désert du Sahara, se trouve une grotte fascinante. Sur ses parois claires, des centaines de personnages sont dessinés, certains obliques, tous énigmatiques. Des corps humains disproportionnés se déplacent en procession dans des ocres riches. Ce qui est le plus remarquable, c’est que nombre d’entre eux sont allongés sur le ventre, bras et jambes à l’horizontale, dans un mouvement qui ressemble à celui la nage. Ce qui pose une question fascinante : pourquoi les artistes de ces temps reculés peignaient-ils des scènes de baignade dans cette partie aride du Sahara ?

Parce que le Sahara n’a pas toujours été un désert. C’était jadis une vaste savane grouillant de gazelles, d’antilopes, de lions, de girafes, d’éléphants et d’êtres humains. Plusieurs monuments témoignent de cette abondance, prenez, par exemple, les deux girafes gravées dans la pierre avec force détails il y a 10 000 ans à Dabous, dans le Ténéré, au Niger. “Ténéré” veut dire littéralement “Là où il n’y a rien”, or on y trouve deux des plus fines sculptures sur roche au monde, témoignage d’une époque où le désert débordait de vie.

Le pastoralisme aurait accéléré la désertification

Le Sahara a commencé à s’assécher il y a de 8 000 à 4 500 ans, et le paysage s’est alors transformé en désert. Les moussons se sont déplacées plus au sud, suivies par les grands animaux, les éléphants et les girafes, entre autres. On a longtemps pensé qu’il s’agissait d’un processus purement naturel provoqué par des mouvements de l’axe orbital de la Terre. Certains avancent cependant que les habitants du Sahara, des chasseurs-cueilleurs vivant en groupe, ont pu jouer un rôle. D’après l’archéologue David Wright, les hommes ont pu accélérer la désertification de ce sol délicat quand ils ont commencé à passer de la chasse à un mode de vie pastoral et à se déplacer avec des troupeaux de chèvres et de bovins affamés. En effet, quand les savanes luxuriantes ont reculé et que la nourriture s’est faite rare, les hommes se sont tournés vers le pastoralisme et auraient ainsi hâté la désertification.

Ce n’est qu’une hypothèse. Certains ont soulevé des objections : même s’il est difficile d’estimer la population de l’époque, il est probable qu’il y avait tout simplement trop peu d’êtres humains pour contribuer de façon significative à la dégradation écologique de la région.

Il y a une autre possibilité, peut-être plus troublante : et si les gens qui ont quitté les girafes de Dabous ou la grotte des Nageurs n’avaient pas été chassés de leurs terres pour avoir modifié l’environnement mais par des forces totalement hors de leur contrôle ?

Une culture fascinante et mystérieuse

Leur culture est fascinante, même si elle demeure mystérieuse. Pour certains, la grotte des Nageurs décrit de vraies scènes de baignade dans les lacs qui se trouvaient jadis dans la région, à 160 kilomètres du site. Comme ce peuple était itinérant, il est parfaitement plausible que la personne qui a fait ces dessins se soit rendue à ces lacs. Pour d’autres, en revanche, les nageurs ont une signification plus symbolique. On voit des personnages similaires dans la grotte des Bêtes voisine : ils semblent se diriger vers des créatures sans tête qui les avalent et les régurgitent. Ces scènes sont difficiles à interpréter, mais plusieurs hypothèses ont été présentées.

La première, c’est que ces créatures sont des animaux, des lions par exemple, dont la tête a été volontairement supprimée, et certains d’entre eux semblent pris dans de fins filets. De plus, l’art rupestre de la région montre d’autres animaux dangereux qui ont été volontairement barbouillés. On suppose qu’il s’agissait d’une pratique magique pour neutraliser le pouvoir de l’image : on risquait de donner vie à des créatures dangereuses ou démoniaques en les représentant sans cette correction. Ces croyances se sont plus tard répandues dans l’Égypte ancienne.

Une autre hypothèse, c’est que les nageurs représentent les défunts et que les créatures sans tête sont des dieux ou des gardiens, comme Cerbère ou Ammout, qui annoncent l’entrée du mort dans un au-delà sous-marin. Les textes égyptiens corroborent cette théorie, mais il faut les traiter avec prudence parce qu’ils sont postérieurs de plusieurs milliers d’années. Le Livre des portes décrit le mort en ces termes : “Ô noyés qui êtes dans l’eau, nageurs qui êtes dans le fleuve, voyez Rê qui monte dans sa barque, grand de mystère.”

Voir également la description des plus curieuses qui figure au chapitre XXVII du Livre des morts :

Le livre de l’adoration des dieux des cavernes : ce qu’un homme doit dire quand il y arrive pour pouvoir entrer et voir ce dieu dans la grande demeure de l’au-delà.

Salut à vous, dieux des cavernes de l’Occident ! Salut à vous gardiens de l’autre monde qui gardez ce dieu et apportez les nouvelles à la présence d’Osiris !

Ô gardiens des portes qui gardez vos portes, qui avalez les âmes et engloutissez les corps des morts qui passent par vous quand ils sont envoyés à la maison de la destruction.”

Quelle que soit leur signification, ces images de l’art rupestre du Sahara font travailler l’imagination. Les parallèles existant entre l’iconographie saharienne et celle de l’Égypte ancienne indiquent que les cultures du Sahara ont fini par l’emporter. Si la désertification a chassé les habitants de leurs terres et fossilisé leur art, elle a aussi adouci les marais jadis épineux et inhospitaliers du Nil, et nombre de Sahariens s’y sont installés au VIe millénaire avant Jésus-Christ. Même si l’histoire du Sahara fait penser à une sinistre parabole écologique, elle a aussi apporté un vent de nouvelles possibilités. Les graines de la culture saharienne ont été emportées par cette brise et ont germé dans l’Égypte ancienne.

 

 

 

 

 

 

History Today (Londres)

Cette revue de vulgarisation historique indépendante fondée en 1951 propose des articles rédigés par des universitaires et des historiens et traite de toutes les époques sans distinction. Une édition numérique est disponible depuis 2012.

 

 

 

 

 

 

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