En Côte d’Ivoire, les premiers pas prometteurs du streaming musical

La démocratisation des plates-formes d’écoute a convaincu artistes, distributeurs et producteurs de se tourner vers le numérique.

Le Monde – Kikimoteleba est-il le premier rappeur ivoirien à avoir obtenu un « single d’or » pour son titre Tigini ? Mi-mars, la question a mobilisé tout ce que la Côte d’Ivoire compte de passionnés de musique sur les réseaux sociaux après que l’entêtant tube de l’artiste a dépassé les 15 millions d’écoutes – le seuil fixé pour une telle récompense – sur la plate-forme de streaming (écoute en ligne) Spotify.

 

Un record pour un artiste du « Rap Ivoire », la nouvelle vague de la scène hip-hop apparue dans les années 2010 à Abidjan. Avant lui, seuls Magic System et Alpha Blondy avaient atteint – et dépassé – ce chiffre.

Finalement, pas de single d’or attribué. En cause, les critères d’appréciation qui régissent la certification française : les 15 millions d’écoutes doivent provenir de comptes premium (abonnés) d’utilisateurs basés en France. Or, l’immense majorité des fans de Tigini possèdent des comptes gratuits et sont dispersés à travers le monde.

« Stream premium ou pas, donnez le premier single d’or du rap ivoirien à Kikimoteleba ! », a plaidé Didi B, star du « Rap Ivoire », en vain. Déçus mais pragmatiques, d’autres internautes ont avancé l’idée de créer une certification ivoirienne pour célébrer le succès des artistes du pays et ne plus dépendre de l’extérieur.

Se tourner vers d’autres sources de revenus

Le buzz a en tout cas mis en lumière l’intérêt grandissant pour le streaming musical en Côte d’Ivoire. Si les chiffres indépendants manquent pour mesurer le phénomène, artistes, distributeurs, producteurs et labels évoluant dans cet univers confirment une dynamique.

« Je le ressens depuis deux à trois ans », confirme Guy-Constant Neza, label manageur Côte d’Ivoire chez Believe Digital, le principal agrégateur de musique au monde qui distribue des contenus sur près de soixante-dix plates-formes. Pour lui, il y a « une double prise de conscience chez nos artistes, à la fois des limites du modèle existant et des opportunités qu’offre le streaming ».

Le rappeur ivoirien Kikimoteleba.

Jusque-là, les artistes ivoiriens sortaient leur titre – autrefois sur CD, aujourd’hui sur les réseaux sociaux – et diffusaient leurs clips en ligne, espérant se faire une notoriété suffisante pour être approchés par des marques et vivre, un temps, de publicité, de concerts et d’événements privés ; la scène représentant près de « 80 % des revenus de l’artiste ivoirien », rappelle M. Neza.

Mais la disparition progressive du CD, l’impact de la pandémie de Covid-19, la faible monétisation des contenus sur YouTube en Côte d’Ivoire auxquelles s’est ajoutée la démocratisation des plates-formes d’écoute ont convaincu les artistes et leurs producteurs de se tourner vers d’autres sources de revenus, notamment dans le numérique.

Monétiser les œuvres

Une tâche à laquelle se consacre Pit Baccardi, directeur du label et du publishing chez Universal Music Africa, basé à Abidjan. « On accompagne nos artistes dans ce passage d’un modèle à un autre en leur expliquant l’importance de créer de l’attente autour de hits pour être streamés au maximum », souligne cet ancien rappeur.

L’aspect très lucratif du streaming musical va mécaniquement faire émerger une « culture stream » chez les artistes ivoiriens, estime le responsable de la major qui a connu les débuts du streaming en France au milieu des années 2000 et donne cinq ans à l’Afrique de l’Ouest pour s’y mettre : « Tout va très vite ici, l’Afrique anglophone est déjà complètement dans le stream. »

 

Mais pour que l’artiste y trouve un intérêt, encore faut-il que ses œuvres soient monétisables. Or, les habitudes de consommation de la musique en Côte d’Ivoire, essentiellement via un smartphone sur YouTube, ne permettent pas à l’artiste d’être rétribué à sa juste valeur. En effet, le diffuseur américain rémunère les « vues » des clips en fonction de la taille du marché publicitaire. Or, celui-ci est quasi insignifiant dans le pays.

« Entre un stream sur YouTube en Californie et un en Côte d’Ivoire, on est sur une échelle de 1 à 10, voire de 1 à 20 en termes de rémunération », confirme un observateur averti des industries culturelles et créatives (ICC) ouest-africaines.

« Rendre le streaming accessible »

En outre, la « data » – donnée Internet – coûte encore très chère en Côte d’Ivoire, ce qui limite les opportunités d’écoute et favorise le piratage qualifié par certains experts de « lose-lose » (perdant-perdant) : l’industrie musicale locale peine à rémunérer ses artistes et le contenu culturel est diffusé en ligne à un tarif très élevé.

Ainsi, chez Believe Digital, 99 % des revenus des contenus produits sur le continent africain sont générés en dehors de l’Afrique, en partie grâce à la diaspora africaine. « Les artistes ivoiriens qui se font de l’argent grâce au stream le font à l’étranger », poursuit notre observateur des ICC.

 

L’arrivée des plates-formes internationales ne devrait pas fondamentalement changer la donne car, si ces dernières ont adapté leurs tarifs aux portefeuilles ivoiriens, elles ne proposent pour l’instant que des abonnements mensuels dans un pays où la consommation de données Internet se fait encore sur une base quotidienne. Ce constat n’est toutefois pas sans appel : des solutions émergent et, comme souvent ces dernières années, elles sont liées à la téléphonie mobile.

Préinstallée sur certaines marques de téléphones bon marché, l’application Boomplay du géant asiatique Transsion cherche à « rendre le streaming accessible afin que ce ne soit pas qu’une technologie de luxe », explique sa directrice Côte d’Ivoire, Paola Audrey, fraîchement nommée.

Proposer du contenu musical adapté

Si l’application est disponible depuis 2015, la responsable justifie l’ouverture d’un bureau à Abidjan cette année par la nécessité de « répondre aux problématiques locales par une présence locale », avec l’objectif de proposer davantage d’artistes ivoiriens aux usagers de l’application.

Plus récemment, des acteurs du streaming se sont rapprochés des opérateurs de téléphonie mobile pour proposer du contenu musical adapté « aux méthodes de consommation et aux solutions de paiement » développés par les géants des télécoms, confirme Jean-Philippe Audoli, le patron de Waw Muzik, la jeune application de streaming musical adossé à Orange Côte d’Ivoire, qui revendique près de 180 000 usagers.

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Source : Le Monde (Le 28 mars 2022)

 

 

 

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