Le grenier du Sénégal en quête d’eau

La zone maraîchère des Niayes connaît un déficit hydrique, tandis que l’exploitation de l’eau augmente. Les agriculteurs doivent puiser de plus en plus profondément.

Le Monde – Un verdoyant champ de pommes de terre surgit au milieu des dunes blanches de la zone maraîchère des Niayes, sur le littoral sénégalais, à une centaine de kilomètres au nord de Dakar. Ici, Thioute Dieng cultive aussi des aubergines, des poivrons ou des choux, qu’il vend au marché de la ville voisine de Mboro.

Mais d’un geste de la main, il désigne ses terres les plus proches de la mer, qu’il a dû abandonner en 2018. « L’eau est salée là-bas maintenant, je ne peux plus travailler, raconte-t-il, dépité. Je n’ai plus qu’un seul champ, c’est beaucoup plus difficile d’assurer les dépenses quotidiennes. » D’autant que les coûts de production ont augmenté depuis qu’il a dû investir dans des mini-forages et des motopompes pour aller chercher de l’eau à plus de 12 mètres de profondeur, alors qu’il creusait à moins de 2 mètres dans les années 2000.

Cette vaste région des Niayes, surnommée le « grenier » du Sénégal, et qui s’étend sur le littoral entre Dakar et Saint-Louis, fournit 70 % à 80 % des besoins en légumes et en fruits du pays. Une région qui s’urbanise de plus en plus, et où sont aussi installées les Industries chimiques du Sénégal (ICS), le plus gros producteur d’engrais en Afrique subsaharienne, qui puise dans les eaux profondes.

Face à cette pression sur la ressource en eau, la nappe superficielle baisse de 7 centimètres chaque année, tandis que la nappe profonde diminue de 45 à 49 centimètres par an, des données issues du plan de gestion des eaux du littoral nord. « La recharge des nappes diminue et l’exploitation de l’eau augmente. Mais il est encore temps de changer de pratiques », veut croire Niokhor Ndour, à la tête de la direction de la gestion et de la planification des ressources en eau du ministère de l’eau et de l’assainissement.

 

L’enjeu est de taille pour assurer la sécurité alimentaire du pays. Le sujet était au cœur des discussions du 9e Forum mondial de l’eau, qui s’est achevé vendredi 25 mars à Dakar. Les participants (des institutions publiques, privées, des ONG…) ont appelé à « garantir le droit à l’eau pour tous » et à adopter des « plans de gestion durable » pour préserver les ressources hydriques.

Garder l’humidité

Sur son terrain en pente à flanc de dune, Thierno Gningue vient de récolter ses tomates cerises et a commencé à planter des pommes de terre. Depuis trois ans, le producteur a remarqué que la nappe a tendance à diminuer à cause d’une pluviométrie toujours plus faible chaque année. Il a alors choisi de changer de technique d’arrosage. « Quand je travaillais avec une lance, j’utilisais trois à quatre fois plus d’eau qu’avec la technique d’arrosage en aspersion que je viens de mettre en place », constate l’agriculteur. Des bandes en plastique souple trouées tous les 20 centimètres circulent maintenant entre ses pousses de pommes de terre et laissent s’échapper de fines gouttes en jet.

Au pied de chaque plant, le producteur a aussi disposé du paillage composé de mauvaises herbes séchées afin de garder l’humidité et d’empêcher l’évaporation de l’eau. « Désormais, je peux rester trois ou quatre jours sans arroser », assure-t-il, content de pouvoir non seulement économiser de l’eau, mais aussi le carburant qui fait fonctionner sa petite motopompe.

 

Un peu plus loin, un autre producteur a choisi le système de goutte-à-goutte qui donne la quantité d’eau exacte dont ont besoin ses pastèques, associées à des aubergines amères. « Chaque plante a des besoins précis en eau, le goutte-à-goutte permet d’éviter de gaspiller, alors que des usines sont installées dans la même zone et que tous les agriculteurs ont maintenant des motopompes et arrosent avec un système de lance », explique Omar Diop, qui s’inquiète pour l’avenir de ses enfants. Avant, il trouvait de l’eau à moins de 1,50 mètre de la surface, maintenant il a un puits qui plonge jusqu’à 15 mètres de profondeur.

« Des règles de partage équitable »

Les techniques d’arrosage économes en eau sont essentielles, selon l’association sénégalaise Enda Pronat, qui promeut les pratiques agroécologiques dans la zone. Elle a par exemple mis au point un compost biologique fabriqué à partir de déchets organiques, d’herbes sèches, d’excréments de volailles et de chèvres, riche en azote, en phosphate et en potasse. « Nous faisons une double utilisation de ce mélange, qui est à la fois un engrais naturel et un paillage qui limite l’évaporation de l’eau », explique Jacques Sarr, représentant d’Enda Pronat à Mboro.

Mais il est difficile pour les professionnels de généraliser les systèmes d’arrosage alternatifs, car l’eau de la région a un fort taux de fer, qui s’oxyde dans les tuyaux et bouche les conduites d’arrosage. A cela s’ajoutent une acidité de l’eau et une salinisation des nappes. « La solution serait d’installer de gros bassins de décantation pour obtenir une eau sans fer, ou d’aller puiser dans les nappes profondes, mais cela demande de gros investissements que les producteurs n’ont pas », explique Medoune Loum, président de la plate-forme locale de l’eau de Darou-Khoudoss-Mboro. Créée fin 2021 en partenariat avec des institutions étatiques, elle regroupe tous les usagers de l’eau dans la localité.

« Alors que l’eau est surexploitée, les usagers doivent se mettre d’accord sur des règles de partage équitable de la ressource », explique Valérian Juillet, de l’ONG de développement international Gret, qui accompagne la mise en place des trois plates-formes locales d’eau dans la zone des Niayes, et pour qui il est important d’apporter des réponses qui vont au-delà des solutions techniques et technologiques. Alors que le code de l’eau est actuellement en révision au Sénégal, ces plates-formes, qui ont pour l’instant un statut associatif, devraient être institutionnalisées à l’avenir pour obtenir un pouvoir réglementaire.

 

« Se concerter pour la gestion de l’eau est primordial afin de rationaliser l’utilisation de la ressource, car on ne peut pas continuer à creuser indéfiniment, s’inquiète M. Loum. Pour que la nappe se régénère et pour favoriser l’infiltration des ressources et limiter l’érosion, il est plus urgent de reboiser. »

 

 

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Source : Le Monde

 

 

 

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