
La soudure particulièrement difficile attendue cette année est potentiellement génératrice de conflits sur la gestion des ressources naturelles ; notamment entre éleveurs, agriculteurs et maraîchers. A cet égard, la formation des acteurs des territoires ruraux à la prévention et la gestion des conflits agro-sylvo-pastoraux et hydrauliques, lancée à Sélibabi du 21 au 25 février derniers, était une vulgarisation attendue par les communautés et leurs administrateurs locaux.
« Financé par l’Union Européenne dans le cadre du projet RIMRAP Copco, cet atelier de formation est un vecteur important pour inciter au dialogue, à la concertation » déclare d’emblée Souleymane Wagne, expert agropastoral du projet RIMRAP COPCO (Renforcement Institutionnel en Mauritanie pour la Résilience Agro-pastorale, appui suite aux conséquences socio-économiques de la pandémie du COVID19- ndlr), lors de l’ouverture de l’atelier, qui s’est tenu à Sélibabi du 21 au 26 février 2022.
Bernard Bonnet, expert de l’IRAM (Institut de recherche et d’applications des méthodes de développement, Montpellier et Paris- ndlr) pour le chapitre agropastoral, qui a contribué à la conception de ce module de formation insiste sur la nécessité d’impliquer tous les acteurs concernés d’un territoire, en l’occurrence ici les communes de Arr et de Ajar, « que ce soit avec les leaders d’opinion religieux, avec les imams, administratifs locaux, avec les maires, ou associatifs, avec les agents de développement local, avec les représentants techniques et administratifs de l’Etat »... « Dans le diagnostic effectué par le RIMRAP dans 4 wilayas en 2018, cette question des conflits agro-pastoraux revenait assez systématiquement. Il y avait donc le souci manifesté par les acteurs du développement local de développer une formation sur la prévention et la gestion d’un conflit, basée sur le partage d’expérience et la compréhension du droit agro-pastoral en Mauritanie. Avec le RIMRAP recherche & formation, ce module a été construit ici à Nouakchott, en concertation avec le ministère de l’agriculture, celui de l’élevage, les ONG œuvrant dans le domaine, les juristes compétents sur la question » explique le chercheur.
Cette rencontre de cinq jours à Sélibaby avait un double objectif. En premier lieu de permettre aux acteurs des territoires riverains, celui de la Commune de Arr et de Ajar d’échanger sur la nature des litiges agro-sylvo-pastoraux et hydraulique qu’ils rencontrent, en relation avec les textes et les mesures d’aménagement et de gestion qui peuvent les prévenir. Le second objectif pour le COPCO était de former six animateurs-formateurs, aptes à conduire de manière autonome l’animation de ce module dans d’autres territoires des quatre willayas couvertes par le COPCO.
L’importance de la compréhension du droit agro-pastoral par les acteurs locaux des territoires
Le contenu du module a donc naturellement imbriqué une composante juridique, afin d’initier les acteurs communaux aux textes de loi régissant la gestion de ces ressources. « Les textes juridiques, dispositions qui régissent les ressources naturelles, ont été adoptés par l’Etat mais n’ont pas eu la vulgarisation adéquate au niveau des populations. Cette lacune dans la vulgarisation fait que les autorités administratives, autant que les populations sont peu au fait du cadre légal dans lequel leurs litiges peuvent se dérouler. Cet atelier justement a visé à vulgariser les plus pertinentes des dispositions légales, dans le contexte agropastoral du Guidimakha où l’atelier a eu lieu » explique Brahim ould Abdel Kader, consultant juriste, versé sur le droit des ressources naturelles (eau, foncier, environnement, forêt).
Un second point du module est lié à la pratique de la médiation en cas de conflit : « Les procédures prévues par les textes sont des procédures de règlement à l’amiable par l’intermédiaire de médiateurs, et le passage devant les juridictions. Ces dernières ne sont pas forcément adaptées à nos réalités socio-économiques, en milieu rural notamment. Par exemple, un agriculteur qui perd une partie de sa production du fait de dommages causés par du bétail, il n’est pas approprié qu’il se pose devant une juridiction, car la procédure peut prendre des années, et elle est très onéreuse. Les modules sur la médiation ont été développés en ce sens et tendent à initier les personnes à la médiation, bien moins compliquée sur le plan procédural et financier » évoque longuement le juriste.
La nécessaire implication des acteurs locaux dans le partage des pratiques en regard avec le droit agro-pastoral mauritanien
Chaque participant est ainsi convié tout au long du déroulement du module, à questionner ses pratiques en lien avec sa propre part de responsabilité dans la gestion des conflits pour proposer sa feuille de route spécifique pour améliorer sa pratique de la prévention et de la gestion des conflits agro-sylvo-pastoraux. Le groupement national des agropasteurs l’a fait à travers son représentant au Guidimakha, Abdoul Amadou Diop. « Le GNAP insiste surtout sur les couloirs de transhumance, pour être sûr qu’aucun d’entre eux ne passe par des périmètres agricoles ou maraîchers, et pour éviter également l’installation de campements d’éleveurs le long de ces mêmes couloirs ; car ce sont des campements qui incitent en général les éleveurs à dévier de ces couloirs et métastaser leur présence jusque dans les périmètres de cultures » évoque le chargé de programme du GNAP au Guidimakha.
Très sollicités, les maires également font part de l’importance des enjeux, et de réunir tout le monde à la table. « Nous n’avions jamais bénéficié d’une thématique de formation de ce genre. C’est un appui dont nous avions vraiment besoin, surtout dans le contexte à venir d’une soudure très difficile. Un conflit relativement grave vient d’être réglé sans avoir eu recours au Procureur de la république, qui est sollicité en général dans ce type de conflit terrien. Un consensus a été trouvé en discutant avec le Hakem et l’imam de la grande mosquée » témoigne Mamadou Fodé Konaté, maire de la commune d’Arr, dans le Guidimakha.
Leaders d’opinion écoutés dans toutes les communautés du pays, les imams servent souvent de courroie de transmission pour une facilitation dans le règlement d’un litige. « La formation va de pair avec les préceptes de l’Islam, qui exhortent les musulmans à être des Facilitateurs en toutes choses, particulièrement dans un contexte de conflit. C’est une initiative qui rappelle ces valeurs, en les appuyant sur les textes légaux de la Mauritanie » souligne Khassem Ould Yahya, imam de la mosquée de la localité d’Ajar et participant de la formation.
Photo : Vue durant la formation à Sélibaby, entre le 21 et le 25 février. Crédit : RIMRAP COPCO
Mamoudou Lamine Kane
(Reçu à Kassataya.com le 23 mars 2022)