Guerre en Ukraine : fusées, ExoMars, ISS… de nombreuses activités spatiales à l’arrêt

Suspension des vols du lanceur russe Soyouz à Kourou, menace sur la Station spatiale internationale et une importante mission scientifique vers Mars… Le conflit révèle l’interdépendance des pays en matière spatiale.

Le Monde  – La guerre en Ukraine se déroule sur Terre, mais ricoche dans l’espace et, d’une certaine manière, jusqu’à la planète Mars. Des sanctions prises contre Moscou découle en effet une cascade de répercussions pour le monde spatial, conséquences industrielles, scientifiques et purement opérationnelles, qui touchent au premier chef l’Europe et la France en raison de l’arrêt de nombreuses collaborations avec la Russie.

Roscosmos, l’agence spatiale russe, a ainsi décidé de suspendre ses tirs de fusées Soyouz depuis le centre spatial guyanais de Kourou, des vols commercialisés par Arianespace, et de rapatrier son personnel. Retombée immédiate : les satellites qui devaient compléter la constellation européenne Galileo de géolocalisation ainsi que le satellite militaire français CSO-3 n’ont plus de lanceur. Dans des communiqués laconiques, l’Agence spatiale européenne (ESA) et le Centre national d’études spatiales (CNES) ont dit miser sur « l’arrivée imminente des nouveaux lanceurs Vega-C et Ariane-6 sur le marché » pour « envisager une reprogrammation de [ces] lancements » sans pour autant préciser si les satellites désormais cloués au sol pourraient décoller en 2022.

 

Il faut par ailleurs préciser que le dernier étage des petits lanceurs européens Vega est fabriqué… en Ukraine. Depuis de nombreuses années, la volonté politique de maintenir une industrie spatiale dans les ex-républiques soviétiques et d’utiliser le savoir-faire des ingénieurs russes et ukrainiens en matière de motorisation a eu pour effet d’intégrer des éléments venus de l’Est à plusieurs fusées de l’Ouest. Ainsi, en plus de Vega, le lanceur Atlas V d’United Launch Alliance, très utilisé aux Etats-Unis, fonctionne-t-il pour l’instant avec des moteurs russes RD-180. Autre exemple avec la fusée Antares, de la société américaine Orbital Sciences Corporation, qui envoie le vaisseau de ravitaillement Cygnus vers la Station spatiale internationale (ISS) : son premier étage est construit en Ukraine… avec des moteurs russes.

Le gel de la collaboration avec Moscou en matière spatiale porte aussi un coup dur à la mission européenne ExoMars qui, après maints reports, devait enfin partir cette année. Le cœur d’ExoMars est le rover européen Rosalind-Franklin, qui aura pour tâche de forer le sol martien jusqu’à 2 mètres de profondeur pour y chercher les traces d’une vie passée. Mais avant cela, ce robot mobile devra décoller à bord d’une fusée Proton russe et atterrir sur Mars embarqué dans un module de descente, russe lui aussi.

A ce jour, ExoMars, mission à 2 milliards d’euros sur laquelle compte une large communauté scientifique, n’a donc plus ni fusée ni atterrisseur. L’ESA a reconnu qu’un lancement en 2022 était « très improbable ». « C’est une bombe atomique qui nous est tombée sur la tête, admet, sous couvert d’anonymat, une des personnes impliquées dans le projet. Jusqu’au vendredi 25 février, nous espérions passer entre les gouttes de toutes les mesures de restriction, mais c’est désormais terminé. »

De rares solutions de rechange

Dans la longue course d’obstacles qu’est la préparation d’une mission spatiale, ExoMars était à quelques jours de franchir sa dernière haie, la « revue de qualification et d’acceptation de vol », qui aurait donné le feu vert à l’envoi du rover Rosalind-Franklin, actuellement à Turin (Italie), vers le cosmodrome de Baïkonour, au Kazakhstan. Directrice de recherche émérite au CNRS, Frances Westall faisait partie du groupe de scientifiques qui a conçu le projet à la fin des années 1990 : « J’ai terminé ma carrière au CNRS le 28 février au soir avec cette nouvelle et je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, dit-elle. Je suis attristée pour mes collègues scientifiques et ingénieurs qui ont livré un énorme travail depuis toutes ces années. Ces jours derniers, des tests ont eu lieu avec des collègues russes qui étaient tout aussi anéantis. J’avais craint que d’éventuels problèmes techniques ne reportent la mission mais jamais je n’avais pensé à une guerre. »

 

L’ESA dit étudier des solutions de rechange à proposer à ses Etats membres mais n’a pas souhaité répondre à nos questions sur ce sujet. La fenêtre de tir vers Mars ne s’ouvrant que tous les vingt-six mois pour des raisons d’alignement planétaire avec la Terre, un nouveau report conduirait à un départ, au mieux, fin 2024. Les solutions ne sont guère nombreuses en réalité : attendre deux ans de plus en espérant pouvoir repartir avec les Russes si la situation s’arrange ou bien développer son propre module d’atterrissage et trouver un lanceur européen ou américain, avec probablement un surcoût important. « Le problème, souligne avec lucidité Frances Westall, c’est que les instruments scientifiques qui ont été développés il y a plusieurs années commencent à vieillir. L’ESA voudra-t-elle mettre encore plus d’argent dans ExoMars alors que d’autres projets attendent ? J’ai discuté avec un collègue et nous nous sommes demandé si nous verrions jamais cette mission… » Toujours dans le domaine scientifique, l’ESA et le CNES sont restés muets sur le devenir de la collaboration au programme russe Luna d’exploration de notre satellite.

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Source : Le Monde

 

 

 

 

 

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