Mauritanie-Niger : la stratégie religieuse des alliés militaires de Paris

Les partenaires de la France dans la lutte antiterroriste sont aussi les apôtres d’un contre-discours face aux jihadistes, faisant l’éloge du «bon musulman»

 L’Opinion Les faits Plus de 500 experts d’une quarantaine de pays se sont réunis du 8 au 10 février à Nouakchott en Mauritanie pour la Conférence africaine pour la consolidation de la paix en présence des présidents du pays hôte et du Niger qui ont ouvert et clôturer les travaux. Ces deux alliés sécuritaires de la France recommandent aux religieux et chefs traditionnels de davantage s’investir pour lutter contre l’extrémisme et résoudre les conflits au Sahel.

A Nouakchott, les présidents mauritianien Mohamed el Ghazouani et nigérien Mohamed Bazoum ont troqué leur uniforme de chef de guerre engagé dans la lutte antiterroriste au Sahel pour celui de guide religieux. Le premier est un ancien militaire issu d’une grande confrérie maraboutique, le second un philosophe de formation, ancien marxiste devenu socialiste. Les deux dirigeants se revendiquent de confession musulmane sunnite de rite malékite et partagent la même conviction : la seule approche militaire est vouée à l’échec, elle doit être complétée par un contre-discours religieux pour détourner leur jeunesse des sirènes jihadistes.

« Ceux qui travestissent tant l’islam et qui en donnent une image internationale si négative, le font au nom d’une lecture du Coran aux antipodes de ce que ce texte délicat contient, a expliqué Mohamed Bazoum. Notre devoir est de battre en brèche toutes ces lectures perverses et les comportements hérétiques qu’elles génèrent afin de faire triompher le projet profondément humaniste de cette religion si éloignée de la caricature qui en est donnée. » Le chef de l’Etat nigérien a fait l’éloge du « bon musulman », celui qui ne galvaude le concept de Jihad, « un effort et une quête avant tout personnels et spirituels ». Pour lui, le jihad majeur, spirituel, diffère du jihad mineur (qui se traduit par la guerre). Il permet de canaliser la violence des pulsions sataniques en l’homme et « sublime les violences guerrières en ascèse spirituelle et en apprentissage incessant de la paix sociale, politique et psychique ».

Erudit. Petit-fils d’un érudit fondateur de la confrérie des Ghouzhf, son homologue Mohamed El Ghazouani dirige la république islamique de Mauritanie, appliquant la charia dans sa version la plus douce. Les peines d’emprisonnement et les réparations s’y substituent aux châtiments corporels. Il est également le partisan d’une approche globale pour lutter contre l’extrémisme. « La victoire sur le terrorisme exige de briser son épine militaire ainsi que de le priver d’un environnement favorable en luttant contre l’ignorance, le chômage et la pauvreté, assure-t-il. Il convient également d’œuvrer à ôter des esprits les germes de l’extrémisme idéologique en assurant la promotion de la culture de la paix, de l’amour et de la fraternité, en prêchant les valeurs islamiques authentiques de tolérance, de modération, de fraternité tout en les protégeant contre les interprétations perverties. »

Dans son combat, le chef de l’Etat s’appuie sur les érudits de son pays, particulièrement Abdallah Bin Bayyah. Respecté et influent auprès des savants, ce conseiller officieux veille à déconstruire le lien entre islam et terreur. Il est de la même grande confrérie soufie que le chef de l’Etat. Originaires de la région de l’Assaba, les deux hommes sont très proches. Le cheikh Bin Bayyah défend le renouveau des liens entre islam et philosophie ainsi qu’avec les sciences humaines. Installé aux Emirats arabes unis où il préside le conseil supérieur de la fatwa et le conseil scientifique de l’Université Mohammed Ben Zayed, il est le promoteur de divers forums pour la promotion de la paix dans les sociétés musulmanes. Durant le Printemps arabe, il a appelé de ses vœux à des réformes plutôt qu’au renversement des régimes en place, misant sur l’Etat et ses institutions. Il prône le dialogue interreligieux et ne s’est pas opposé à la signature des accords d’Abraham entre Israël et les pays musulmans.

La construction théologico-politique des dirigeants nigérien et mauritanien doit néanmoins faire face à la diffusion d’idées salafistes sur les réseaux sociaux et à l’offensive des Frères musulmans, promoteurs d’un islam politique. Les nouvelles technologies permettent aux prédicateurs extrémistes de communiquer plus facilement en temps réel. « Une kalachnikov n’a jamais tué une vidéo, résume Bakary Sambe, directeur du think tank Timbuktu Institute. Il est nécessaire d’affronter l’idéologie, d’étudier les phénomènes de radicalisation, de conversion, d’identifier les causes du passage à l’action. » Ce think tank a mené de nombreuses études sur l’extrémisme au Sahel, notamment dans la région de Zinder au Niger. Celles-ci confirment la diversité des motivations des jeunes enrôlés par les groupes jihadistes : enfants sans famille, en abandon scolaire, victimes d’injustice sociale, disposant de peu de moyens et en quête de statut social face à un Etat protecteur qui ne joue plus son rôle.

Internationale frériste. « Depuis la fin de la guerre froide, la radicalisation de certains musulmans au sud du Sahara signale plutôt le déclin des modèles post-coloniaux relativement à la représentation laïque et républicaine que les Occidentaux se faisaient des Etats lors de la période des indépendances », souligne Marc-Antoine Pérouse de Montclos dans L’islam d’Afrique. Au-delà du Djihad (éd. Vendémiaire). La prégnance des forces religieuses a parfois été masquée par le nationalisme, le socialisme, le panarabisme, le panafricanisme. Le Sahel vit aujourd’hui certains phénomènes de réislamisation et de revitalisation religieuse.

Au Niger comme en Mauritanie, les islamistes frappent à la porte de la politique même si les deux pays ont des dispositions qui limitent les interférences du religieux dans ce champ. Le Niger a interdit en 1991 la création d’un Front de la oumma islamique inspiré du Front islamique du salut (FIS) algérien. A l’époque, les lobbies salafistes parvinrent à faire supprimer le mot laïcité de la constitution mais pas la séparation de l’Etat et de la religion. Lors de des dernières élections, les clercs musulmans ont encore tenté de présenter des candidatures individuelles, mais n’ont pas recueilli les signatures nécessaires.

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Pascal Airault

 

Source :  L’Opinion.fr

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